Interview du Professeur Camilla Bellone, Directrice du Centre Synapsy

Par Pascale Caron

 

Le Centre Synapsy, situé à la Faculté de Médecine de l’Université de Genève, est une institution dédiée à la recherche en neurosciences et à la santé mentale. Ce centre, unique en son genre en Suisse, en Europe et dans le monde, s’attaque à des maladies mentales telles que la schizophrénie, l’autisme et les troubles de l’humeur.

Camilla Bellone est Professeure associée au « Département des Neurosciences Fondamentales » et coordinatrice du Centre Synapsy de l’UNIGE. Elle apporte une perspective pharmacologique et neurophysiologique sur les fonctions cérébrales impliquées dans les troubles mentaux. Ses recherches se concentrent sur les mécanismes neurobiologiques du comportement social, allant des molécules aux réseaux neuronaux dans lesquels ils évoluent. Elle s’intéresse particulièrement à l’autisme, un trouble connu pour altérer les compétences sociales.

 

Pouvez-vous nous parler de Synapsy ?

Au Centre Synapsy, nous sommes au cœur d’une fusion révolutionnaire entre neurosciences et psychiatrie. Créé en 2002 par Dominique Muller et Pierre Magistretti, notre centre rassemble neuroscientifiques et psychiatres dans un élan commun : comprendre et traiter les maladies mentales à travers les mystères du cerveau. Cette initiative, encore peu connue par le grand public, vise à connecter ces deux domaines, longtemps restés distincts, pour déchiffrer les bases neuronales des troubles psychiatriques et explorer de nouvelles voies thérapeutiques.

L’essence même de notre travail réside dans la découverte et la compréhension des fonctions et dysfonctions cérébrales. Pendant douze ans, notre attention s’est portée sur des maladies telles que la dépression, la schizophrénie, l’autisme et les troubles liés au stress. Mais, à travers ces recherches, nous avons identifié des dysfonctions cérébrales transversales à diverses pathologies. Par exemple, la motivation, qui joue un rôle crucial dans la prise de décision, se retrouve affectée dans plusieurs conditions, allant de la dépression à l’autisme.

Outre la motivation, les aspects cognitifs comme l’apprentissage et la mémorisation sont essentiels à tous les âges et impactés dans divers troubles mentaux. De même, l’attention, indispensable dans le quotidien, est souvent altérée dans plusieurs maladies.

Mon sujet de recherche se concentre sur les interactions sociales, un domaine fascinant qui révèle la variété de nos comportements. Cette étude des individualités, allant des personnes ouvertes et confiantes à celles à la limite de l’autisme, soulève une question fondamentale : d’où viennent ces différences et pourquoi existent-elles ? Comprendre cela est crucial pour valoriser la diversité dans notre société, sans chercher à normaliser les gens.

Le concept d’intelligence collective est au cœur de nos recherches. Cette approche, qui rassemble différentes personnalités pour générer de nouvelles idées, est encore peu explorée en neurosciences. Chez Synapsy, nous étudions ce phénomène pour mieux comprendre comment notre cerveau gère cette individualité et comment elle influence nos décisions.

 

Pouvez-vous expliquer votre parcours et ce qui vous a amenée justement à vous passionner pour ce domaine ?

J’ai fait des études classiques au lycée, en Italie, à Milan. Puis, à un moment, j’ai décidé que je voulais être médecin. Malheureusement, je n’ai pas réussi l’examen pour entrer à la faculté de médecine. Alors que j’avais décidé au bout du compte de me diriger vers des études littéraires, j’ai rencontré une amie qui allait étudier à la faculté de pharmacie. Je l’ai accompagnée, totalement par hasard, et je me suis finalement engagée dans 5 ans d’études de pharmacie. Le côté officine ne m’intéressait pas : je voulais vraiment étudier plus la pharmacologie, l’anatomie et la physiologie. Après trois ans d’études, j’ai eu une révélation : j’ai rencontré l’un de mes mentors, la professeure en neurosciences Monica Di Luca, pharmacologue à l’université de Milan. C’est elle qui m’a véritablement inspirée.

Son cours m’a passionnée et j’ai alors demandé à réaliser une thèse sous sa direction. C’est à ce moment-là que je suis tombée amoureuse des neurosciences, fascinée par la compréhension du fonctionnement du cerveau. Pendant mon doctorat, j’ai eu l’opportunité de partir à l’étranger. J’étais convaincue d’aller à Édimbourg, mais lors d’une conférence, j’ai rencontré Christian Lüscher de l’Université de Genève. Sa manière d’expliquer les choses m’a totalement conquise et j’ai demandé si je pouvais passer une année dans son laboratoire. C’est ainsi que je suis arrivée à Genève.

C’était la première fois que je quittais ma maison. J’étais excitée à l’idée de vivre seule et de découvrir de nouveaux horizons. Alors que je devais rentrer en Italie avant d’aller faire un post-doctorat aux États-Unis, j’ai finalement décidé de ne pas partir, car j’étais tombée amoureuse. Christian Lüscher m’avait quand même encouragée à partir pour le bien de ma carrière. J’ai donc réalisé mon post-doctorat aux États-Unis, à l’University of California à San Francisco, où je suis restée deux ans.

À San Francisco, tout se passait bien. Je travaillais sans relâche, car mon objectif était de retourner à Genève le plus rapidement possible pour retrouver mon fiancé. J’ai collaboré avec Roger Nicol, un pionnier dans l’étude de la physiologie neuronale. Bien qu’il ait été déçu de ma décision de quitter son laboratoire de manière précoce , mon désir de trouver un équilibre entre ma vie professionnelle et personnelle était plus fort.

De retour à Genève, j’ai rejoint une nouvelle fois le laboratoire de Christian Lüscher. J’ai eu la chance d’obtenir un poste de professeur assistant à Lausanne, grâce à une bourse du Fonds national suisse, puis à Genève en 2016. En 2020, je suis devenue professeure associée. L’opportunité d’intégrer Synapsy s’est alors présentée. J’étais membre du conseil d’administration et, suite au décès tragique du directeur de l’initiative, j’ai pris sa relève en tant que Directrice de Synapsy. Je me suis entièrement dévouée à ce centre. J’ai toujours mon laboratoire de recherche qui emploie 15 personnes. Récemment, le nouveau doyen m’a demandé de devenir vice-doyenne, ce que j’ai accepté, embarquant dans cette aventure captivante. Cela représente beaucoup de responsabilités, mais c’est extrêmement enrichissant.

Mon engagement dans la recherche et l’enseignement reflète ma passion pour l’apprentissage et l’interaction humaine. Je suis foncièrement positive. Je m’enrichis beaucoup de ces différentes activités et du contact avec les étudiants.

 

Pouvez-vous nous donner des exemples de vos sujets de recherche ?

Nous nous intéressons particulièrement au processus décisionnel, notamment à la manière dont une personne décide d’interagir avec autrui ou de l’éviter. Ce sujet est spécialement pertinent dans le contexte actuel, comme dans le cas des violences faites aux femmes. Chacun doit apprendre à identifier les situations ou les personnes à éviter, et à choisir avec qui interagir. Chez certains individus, ce processus peut être altéré en raison de pathologies, les empêchant de faire les bons choix, même face à des aspects négatifs.

Dans nos recherches sur le modèle animal, notamment sur les rongeurs, nous avons pu observer le cerveau et comprendre ce qui s’y passe. Nous nous sommes intéressés à la motivation, en particulier à celle qui nous pousse à interagir avec les autres ou à les éviter. Nous avons découvert que les neurones dopaminergiques, qui libèrent le neurotransmetteur dopamine, jouent un rôle crucial dans la motivation. Ces neurones sont également actifs pendant les interactions sociales, caractérisées par une libération de dopamine. Ces observations sont fondamentales pour comprendre les aspects motivationnels de notre comportement.

En particulier, nous avons mené des études sur des souris présentant des gènes associés à l’autisme. Nous avons constaté une altération de ce processus motivationnel, liée à une activité anormale des neurones dopaminergiques et à une libération insuffisante de dopamine. Cela pourrait être à l’origine de dysfonctions sociales, en particulier celles liées au manque de motivation à interagir avec les autres.

 

Est-ce que vous auriez un livre à nous conseiller ?

Je suis une grande lectrice et j’apprécie particulièrement les livres de neurosciences accessibles au grand public. Je recommanderais « Behave. The biology of humans at our best and worst » de Robert Sapolsky pour son approche captivante de l’être humain. Je recommande également « Sapiens : Une brève histoire de l’humanité » de Yuval Noah Harari, un ouvrage fascinant qui offre une perspective globale sur l’évolution humaine et ses implications.

Je conseille souvent à mes étudiants et étudiantes de ne pas se perdre dans les détails techniques de leur travail et de garder une vision d’ensemble. Les livres sont excellents pour développer notre capacité à voir les choses dans un contexte plus large.

 

Pour finir, auriez-vous une devise ou un mantra ?

Elle est simple mais puissante : « toujours regarder le verre à moitié plein ». C’est cette vision optimiste qui guide mon approche tant dans la vie personnelle que professionnelle.

Pour contacter le centre Synapsy https://www.unige.ch/medecine/synapsycentre/fr

 

A propos de l’auteur : Pascale Caron est membre du comité de MWF Institute et spécialiste de la technologie dans le domaine de la santé. Elle est CEO de la société Yunova Pharma, implantée depuis 2020 à Monaco et commercialise des compléments alimentaires dans la Neurologie.

Pascale est également directrice de rédaction de Sowl-initiative.