[Auteur], Conférencière
Interview de Caroline Torbey, Auteur, conférencière libanaise, propos recueillis par Patricia Cressot
Caroline Torbey fait partie de ces femmes d’orient inspirante. Discrète, sensible, elle écrit et se bat contre les tabous, défend ses valeurs, celle du cœur et contre l’injustice.
Présentée par Géraldine Dhagostine, une autre femme active, l’association dont elle est présidente, fait le pont culturel entre le Liban et la Côte d’Azur en toute discrétion et engagement. La Culture est un des pivots de la connexion intellectuelle qui anime nos deux pays.
Auteur, Conférencière, vous avez un parcours atypique, pourriez-vous nous en parler ?
De mère française d’origine vietnamo-allemande et de père libanais, je suis une auteure francophone résidant à Beyrouth. Je possède une licence en Sciences politiques ainsi qu’un master en Information et Communication de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth.
J’ai commencé par un emploi dans le monde du luxe à Dubaï pendant 4 ans, de 2012 à 2016, tout d’abord au département des Relations publiques chez CHANEL. J’ai été ensuite embauchée par une société de communication dans laquelle j’étais responsable de 9 marques (dont Chloé, Piaget, Baume & Mercier, Zénith). Ma mission tournait autour des relations presse, évènementiel, couverture médiatique, etc. toujours portée vers l’écriture, un rêve d’enfant. C’est durant cette période de ma vie que j’ai rédigé mon premier recueil de nouvelles « Quelle heure est-il chez vous ? » publié en 2017. Depuis, j’ai continué dans cette voie qui s’est avérée être une vocation. Je suis aujourd’hui auteure et conférencière à temps plein. Lauréate du « Trophée des Français de l’Étranger » en 2018 pour ma trilogie intitulée « Dessine-moi un proverbe », j’ai aussi remporté le « Concours de la Nouvelle George Sand » en 2020 grâce à ma nouvelle « Refuge ». Je publie « Éclat d’une vie » en 2021, un témoignage de vie romancé sur l’explosion du port de Beyrouth dont je suis une des nombreuses victimes. « Si j’avais un Cèdre », mon utopie sélectionnée par la célèbre « Fondation Jan Michalski » voit le jour en 2022. J’ai co-écrit plusieurs ouvrages et publie régulièrement dans la presse francophone de mon pays.
Quels sont les sujets qui vous animent ?
Je réside dans un pays magnifique dans lequel il y a malheureusement beaucoup d’inégalités et d’injustice. Le Liban baigne dans un contexte perpétuellement tendu, mais qui pourtant, me fait sentir « bien chez-moi ». Cette façon particulière de vivre toujours sur le qui-vive, constamment en alerte, toujours dans la débrouille et l’entraide, anime et motive ma plume. Il me parait important de raconter ce que nous — et en particulier la jeunesse libanaise — vivons au Liban, et comment nous arrivons à évoluer et à envisager un avenir dans un tel chaos. En ce qui concerne les conférences que je donne, c’est une cohésion logique de mon travail. Je trouve un sens à exposer de vive voix les sujets que je traite dans mes ouvrages ou dans mes écrits. Je peux d’une part m’appuyer sur des supports concrets — les miens — et d’autre part je les maitrise sur le bout des doigts puisque pour la plupart je les vis au quotidien. Je peux donc transmettre le message désiré avec sincérité, honnêteté, aisance et efficacité. Parmi ceux que j’affectionne particulièrement se trouve celui de la Femme qui tient une place prépondérante dans mon œuvre. Je suis également sensible à tout ce qui touche l’enfance en général, mais plus particulièrement l’acceptance, la liberté de choix de vie et la tolérance. Cette région du monde dans laquelle je réside est encore chargée de tabous et d’interdits… La résilience fait aussi partie des thèmes que je traite.
Comment voyez-vous la place de la femme dans la société libanaise sujet de votre dernière conférence ?
En juin dernier, j’ai été invitée à donner une conférence à Nice, portant le thème suivant : « La place de la Femme dans la société civile au Liban ». Cette conférence a été mise en place par l’association Mont Liban D’azur (MLA) présidée par Géraldine Ghostine en collaboration avec le département des Alpes Maritimes et la ville de Nice présidé par C.A Ginesy.
La Femme au Liban est forte, épanouie, semble libre et l’égale de l’homme. Mais si on creuse un peu et qu’on se penche sur les lois et la constitution, ce n’est clairement pas la vérité, ni dans les lois ni dans la perception. Elle ne bénéficie pas des mêmes droits et avantages que les hommes. D’ailleurs, lors de ma dernière conférence, je citais quelques paradoxes qui s’avèrent être complètement révoltants, mais qui sont pourtant bien d’actualité. À titre d’exemple, la femme libanaise n’a pas le droit d’ouvrir de compte bancaire à ses enfants sans l’autorisation de son mari. De plus elle ne peut pas transmettre la nationalité ni à son conjoint ni à ses enfants. Il faut cependant savoir que la Femme libanaise a joué et continue de jouer des rôles importants dans et pour la société civile, mais qu’elle l’a très souvent fait dans l’ombre. Depuis quelques années, et encore plus depuis la « Thaoura », la « Rêvolution » (comme j’aime l’écrire) de 2019 la femme s’est imposée comme le véritable pilier du mouvement de contestation. Cette dernière prend de plus en plus de poids au Liban. Le patriarcat est au centre des discours féministes qui se renforcent. Beaucoup de lois ont été modifiées en faveur de la gent féminine qui reste pourtant lésée par rapport aux hommes que ce soit au niveau légal, mais surtout au niveau de la perception. Malheureusement la femme est encore considérée comme secondaire et pas aussi compétente que l’homme au Pays du Cèdre. Je trouve pour ma part que le statut de la Femme progresse, bien que le chemin vers l’égalité soit encore long et sinueux…
Comment alliez-vous vie personnelle et professionnelle ?
La quête d’un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie privée est plus que jamais un enjeu aujourd’hui. Je suis de plus maman d’une petite fille de 20 mois, Clara-Carolina, et jongler entre le travail et ma vie privée pour gérer le quotidien n’est pas facile. J’ai l’impression de manquer de temps en permanence et c’est frustrant, car je fonctionne à plein régime. J’ai toujours beaucoup d’idées que je veux concrétiser, plusieurs projets en cours qu’il faut que je termine dans les temps, etc. Sachant qu’une journée ne fait que 24 heures, consacrer plus de temps au travail signifie nécessairement en passer moins avec ma fille, ma famille, mes amis et surtout… avec moi-même ! Heureusement, j’ai la chance d’habiter dans un pays où je bénéficie d’une aide à la maison et des parents. Aussi, la première chose pour laquelle j’ai opté sans me sentir coupable, c’est le fait de DELEGUER. Je délègue souvent ce que je n’ai pas le temps de faire après avoir hiérarchisé mes priorités, bien entendu. J’ai compris que si je n’organisais mes taches, mon travail pouvait vite cannibaliser mon énergie et mon équilibre s’en trouverait déréglé, créant du stress et de la fatigue. Et puis, tout compte fait, je pense qu’accepter d’être fatigué, de se tromper, d’être imparfait est un droit. Pour apprécier les petits moments en famille et les journées au travail, il est obligatoire de prendre son temps. Prendre du temps pour soi, pour se reposer, pour agir, pour être plus disponible pour les autres. C’est ce que j’essaye de faire au quotidien et surtout lors de mes déplacements professionnels au cours lesquels j’essaye toujours d’allier plaisir et travail, pour renouer avec moi-même.
Quels sont les livres, films et auteurs qui vous inspirent ?
Vivre dans un pays en constante ébullition est, contrairement à toute attente, quelque chose que je trouve inspirant. Il y a toujours quelque chose à dire sur notre quotidien, toujours quelque chose à faire pour aider les autres, et du coup, la vie prend un sens. Je m’inspire beaucoup des souvenirs personnels, des conversations que j’ai avec les gens qui m’entourent, des personnalités que je rencontre et qui me marquent, des voyages que je fais. En fait, il n’y a pas une ou deux, mais une multitudes de sources d’inspiration pour quelqu’un qui fait mon métier. Je m’inspire également des histoires que j’entends, que mes amis ou connaissances me racontent, de scènes dont je suis témoin. Si je devais parler des films ou livres qui m’inspirent, les histoires vraies. Je ne suis pas trop fiction, bien que j’adore les histoires farfelues pour la jeunesse. Étant quelqu’un de très terre à terre, et je suis motivée lorsque je lis ou je regarde des histoires vraies d’expérience de vie. Cela me rassure en un sens sur la condition humaine et sa capacité à encaisser les épreuves de la vie. Le dernier film que j’ai adoré et que j’ai pourtant regardé bien après sa sortie est « Call me by your name » de Luca Guadagnino.
Que faudrait-il pour améliorer la situation des femmes aujourd’hui ?
J’insiste beaucoup sur le problème de la perception, en plus de l’égalité devant la loi. Le regard discriminatoire que les hommes portent sur les femmes est à mon sens vraiment difficile à gérer au quotidien et problématique. Aussi, il faudrait tout un remaniement des lois libanaises pour ne plus avoir de système qui se plie aux différentes confessions religieuses. Il faudrait bien un seul et même code civil pour gérer tous les problèmes civils, comme le mariage, le divorce, la garde des enfants, l’héritage, entre autres.