Success-story, Franchise

Interview de Céline Molière co-fondatrice de Emilie and the cool kids, et présidente de Bads Girls good Cakes.

By Pascale Caron

J’ai découvert Céline lors d’un événement « Elle active » à Nice. Elle témoignait de son expérience de créatrice, et elle m’a bluffée et inspirée par son côté « Rock-en-Roll » et sa success-story.

Céline est diplômée du Skema (alors Ceram) de Sophia Antipolis. Elle a fondé avec Emilie, Emilie’s Cookies & Coffee Shop en 2007 à Nice. Décoré comme l’intérieur d’un appartement, c’est un lieu de vie convivial et fonctionnel qui ravit les amateurs de pâtisserie. Mais l’histoire ne s’arrête pas là. En 15 ans, ce coffee shop de centre-ville est devenu une entreprise florissante avec 13 franchises, 5 boutiques en propre et 45 employés.

 

 

Comment as-tu créé Emilie and the cool kids?

Tu vas penser que c’est un storytelling tout droit sorti d’un bouquin de marketing, mais c’est véridique. C’est l’histoire d’une amitié entre voisines, qui remonte à l’époque où Emilie Zmaher venait déposer ses cookies et muffins sur mon palier. Mon meilleur ami l’avait rapatriée de Paris et c’est comme cela que l’on s’est connues. Moi je rentrais des états unis avec une forte envie d’entreprendre et nous avons alors décidé de créer ensemble le premier coffee shop d’inspiration américaine à Nice en 2007, sur 30 m2, rue Alberti. Depuis mon premier séjour aux usa, cette idée germait en moi. J’avais travaillé au sein des hôtels Méridien et c’est la rencontre avec Emilie, si différente et si complémentaire qui a cristallisé le projet.

Nous avions réussi à rassembler 15 000 euros avec une idée très précise de ce que nous voulions faire : du business plan, les playlists, et même jusqu’à la déco des toilettes… Les banques ne nous ont pas suivis, mais une rencontre avec l’association Initiative Nice Côte d’Azur (Fier entreprendre à l’époque) nous a permis de faire de notre rêve une réalité. Ils nous ont doublé notre apport et nous ont accompagnés. C’est là que j’ai connu Valérie Ammirati, qui est encore aujourd’hui mon comptable, mais aussi mon mentor. Je m’investis toujours au sein d’Initiative, je fais partie du conseil d’administration, pour leur rendre un peu ce qu’ils m’ont donné.

Au départ on a privilégié l’emplacement plutôt que la superficie, une déco comme à la maison, du bon café, car on est proche de l’Italie, et une biscuiterie adaptée aux goûts français. Emilie, spécialiste des gâteaux et pâtisseries, a créé presque l’intégralité des recettes, j’ai imaginé les mets salés. Nous avons ouvert notre 2e lieu en 2009, rue de la Préfecture dans le Vieux Nice, après la grossesse d’Emilie. On aurait pu s’arrêter là et je serais surement passée à autre chose, car je suis quelqu’un qui s’ennuie rapidement. Mais en 2011, un jeune Monégasque, Anthony, nous propose de lancer une franchise à Monaco, et l’aventure commence. Notre savoir-faire unique était transférable et nous avons pivoté vers le métier de franchiseur tout en misant sur l’artisanat, le fait sur place et le lieu de vie imaginé comme un Concept store.

Au départ notre ADN, c’était plutôt le coffee shop de quartier, mais cela ne nous a pas empêché d’investir Polygone Riviera à Cagnes-sur-Mer et de devenir une marque plus crédible et « bankable ».

Parle-moi du leadership, comment as-tu appris ton rôle de Leader ? Et qu’est-ce qui t’a amenée à ouvrir d’autres lieux ?

Je me suis entourée, je suis très organisée. Je ne m’épanouis pas vraiment dans le management pur, c’est pour cela que j’ai une équipe RH et que je ne veux pas dépasser 50 employés. J’ai le luxe de travailler avec des gens que j’ai choisis. Je prends plaisir à travailler avec eux.

Le leadership m’a empêchée de m’ennuyer, je suis passée de gérante de boutique à manager, puis chef d’entreprise multisite et ensuite franchiseur. Ce nouveau métier m’a apporté beaucoup : le fait d’accompagner des entrepreneurs dont le rêve d’une vie est de créer leur propre entreprise me passionne, à fortiori autour d’un concept que l’on a imaginé ! Pour moi l’image de la réussite c’est de conjuguer la quête de sens et la croissance. Bien sûr tout cela n’est pas facile et les employés du début ne comprenaient pas cette fuite en avant « on ne veut pas devenir Starbucks ! » me rétorquaient-ils. Clairement, ça n’a jamais été le but. Au départ, je suis allée à reculons vers la franchise : pour moi elle avait une mauvaise image. Mais nous l’avons fait à notre manière, avec notre modélisation, nos concepts et nos process. On a gardé le « fait maison » et à chaque ouverture nous repensons entièrement à la déco : nous nous sommes positionnés à contre sens de nos concurrents (Starbucks ou Columbus).

Nous avons créé également une filiale, « Bad Girls, good Cakes », à Cap 3000 : c’est une marque premium avec un positionnement plus haut de gamme, orienté sur le Cake Design.

 Quel a été l’impact de la crise du COVID pour tes activités ?

Cette crise a suscité une vocation de reconversion et une envie de création chez pas mal de monde : nous avons beaucoup de demandes de franchises dans les tuyaux.

De notre côté ça a été, 24 à 48 h de grand choc : depuis le début nous n’avions jamais éteint nos machines à café. Puis la boite à idées s’est mise en place : on a offert des cookies aux soignants, puis nous avons lancé les kits de cookies à faire chez soi, la vente à emporter, le site e-commerce. On a pu constater que notre modèle était résilient. Nous avons essuyé une perte de 25 % de chiffre d’affaires, nous qui avions généralement une croissance de 25 % par an. Cela nous a obligés à recalibrer les emplacements sur des tailles plus réduites, 60 m2 avec un modèle plus rentable.

Au départ j’avais beaucoup réfléchi à monter mon entreprise aux USA plutôt qu’en France. Je m’étais souvent fait la réflexion que j’aurais surement mis beaucoup moins de temps à réussir qu’ici : mais cette crise a rebattu les cartes. Je n’ai pas eu à me séparer de collaborateurs, à mettre la clef sur la porte. Je suis reconnaissante de ce que l’état français a mis en place pour sauver l’emploi.

Quels sont tes prochains challenges ?

Notre ambition est de devenir le 1er réseau de coffee shop artisanal de France. Nous voulons nous servir de cette petite avance que nous avons prise sans perdre notre âme et notre identité : notre croissance doit être vertueuse.

 Et qu’en pense Emilie ?

Emilie, je pense que ça lui aurait très bien allé de rester rue Alberti pendant 15 ans ! Elle m’a proposé d’ouvrir un Emilie’s Cookies en Islande. Elle y a retrouvé le bonheur de ce qu’elle aime faire : créer des recettes. Nos avis ont divergé en termes de développement et j’ai racheté une partie de ses parts, je suis majoritaire dans la structure. Mais elle est toujours là en cas de coup dur et ça lui est arrivé de débarquer de Reykjavik avec son sac à dos pour donner un coup de main !

 Est-ce que tu t’es toujours imaginée entrepreneure ?

Je viens du milieu de la musique underground, avec des grands-parents aux convictions politiques plutôt rouges. À l’époque, c’était la mode d’avoir un groupe de rock dans le garage de ses parents, mais c’étaient généralement des garçons. À 15 ans j’ai fondé un groupe de filles au nom tout en finesse « Dickless ». Ça a été ma 1re expérience entrepreneuriale : j’ai dû démarcher les bars, organiser les concerts, imprimer les affiches… J’ai eu plusieurs formations et je n’ai jamais été une bonne musicienne (les enregistrements l’attestent). Cette expérience m’a appris à lancer mon produit, à faire du marketing et à apporter une pincée de punks dans la bonbonnière !

Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?

Valérie Ammirati, est pour moi une source d’inspiration incroyable. Généralement, les femmes, fortes, indépendantes qui n’ont écrasé personne sur la route du succès m’inspirent. Les femmes pensent souvent quand elles ont du succès « j’ai eu de la chance, j’étais là au bon moment », mais elles réussissent grâce à elle-même, il n’y a pas de hasard.

Les filles qui se sont imposées dans le milieu du Rock si masculin m’inspirent également : Janis Joplin, Patty Smith, mais aussi Courtney Love, Les Riots grrrls qui imposaient « all girls to the front » dans leurs concerts. On prend notre place devant !

 Quels livres nous conseilles-tu ?

J’admire énormément Virginie Despente et je conseille « King Kong Theory », un essai féministe qui analyse le rôle et la place des femmes dans notre société.

Je conseille bien sûr « À nos sœurs de combats » de mon amie Julie Meunier la fondatrice des Franjynes, une personnalité tellement authentique, dans sa colère ou sa joie !

 En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?

« Le risque, ce n’est pas de risque ». Le seul risque que je peux prendre c’est de ne pas le prendre au bon moment. Bien sûr, je l’évalue avant de m’engager et j’étudie surtout le risque de ne rien faire. En ne te lançant pas, tu peux passer à côté d’un truc, de ta vie… Mon dernier mantra est : « Non, n’est pas une réponse acceptable » !

À méditer.