[Mode] inclusive
Interview de Awa Sagna, fondatrice de Peuhl Fulani basée à Montpellier.
By Pascale Caron
Awa est une personne qui a eu plusieurs vies : tour à tour championne de boxe française, top model pour Cartier ou Thierry Mugler, publiciste pour Publicis ou le groupe RTL, et Chroniqueuse TV et en ligne. En 2019 elle se lance en tant que chef d’entreprise et crée la marque « Peulh Fulani », dédiée à sa tante, la regrettée Katoucha Niane, muse d’YSL que l’on surnommait la petite princesse Peulh.
Startup innovante née entre Montpellier, Paris et Dakar, Peulh Fulani compte bien dynamiser le secteur du textile et du e-commerce français. Elle a pour volonté d’imposer ses maillots de bain, haut de gamme, en matières 100 % écologiques fabriquées à partir de bouteilles de plastique. Influencée par la haute couture française et la culture Peulh, c’est le mariage de 2 pays, entre savoir-faire traditionnel africain, et technologique numérique.
Elle a été sélectionnée par l’incubateur Sprint, soutenu par la Fondation Chanel, pour accélérer son développement au Sénégal. En mars 2022, elle est lauréate du « Pass Africa Initiative » de BPI France et du Conseil Présidentiel Africain. Elle est nommée parmi les Tops 500 qui bâtissent l’Afrique de demain par le magazine D’Afrique du Sud « Tropics ».
En juillet 2022 c’est Jean Christophe Tortora, PDG de la Tribune, touché par son histoire, qui lui offre d’ouvrir le forum « Women Future Méditerranée ». Elle est également mise à l’honneur dans le magazine ELLE qui lui consacre un article sur ses multiples vies.
Engagée dans une démarche d’entrepreneuriat responsable, elle fonde en parallèle la « Maison de l’Afrique — Berceau de l’Humanité » pour soutenir les artistes et les jeunes startups qui souhaitent se développer entre la France et l’Afrique.
Je l’ai rencontrée lors d’un comité « Label Initiative Remarquable » Initiative France, au cours duquel nous lui avions décerné le label et j’ai eu envie d’en savoir plus.
Peux-tu nous parler de ton parcours et comment as-tu créé ta société ?
Je suis née à Paris au sein d’une famille nombreuse et aimante. J’ai été façonnée par des femmes. Tout d’abord Catherine Noël, qui, en m’enseignant la danse, m’a appris à être à l’aise avec mon corps tout en étant ancrée au sol.
Adèle Badgi du ballet Niaba, au New Morning à Paris, m’a inculqué ensuite le Sabar, une danse sénégalaise aérienne, tout l’inverse de mes débuts.
Dans mes années lycée, j’ai croisé la route d’une professeure de boxe française, Sylvie Leriche, qui m’a emmenée jusqu’aux championnats de France. C’est une grande fierté d’avoir été aux championnats de France à Liévin avec mes camarades du Lycée Charles Baudelaire.
Et puis j’ai rencontré Almen Gibirila, à Clichy dans un petit atelier mode. Elle m’a fait connaitre le monde de la mode, m’a permis de défiler, et j’ai appris à prendre confiance en moi et à m’imposer.
Ces quatre femmes ont contribué chacune à faire de moi la personne que je suis devenue. Puis très vite, un personnage fondateur est arrivé dans ma vie : Tata Katoucha, muse d’Yves Saint Laurent, qui va m’inculquer la posture. « Il faut être belle et en avoir dans la tête », me disait-elle. J’ai eu la chance de défiler avec elle au musée du Quai Branly sur le thème de l’Afrique. Elle a eu un destin tragique et a disparu en février 2008. Elle était très engagée contre l’excision et l’autonomie des femmes. Par la suite, j’ai défilé pour Saint-Laurent, Cartier, Mugler… à New York, Londres, Paris, Milan.
Ma vie a changé de cap quand j’ai rencontré Hedwig Dethée, qui me propose de le rejoindre dans le monde de la publicité, et d’interviewer les responsables de marques. Je décide de quitter l’univers de la mode à un moment où j’étais au top de ma carrière, contre la volonté de ma mère. Il m’apprend un nouveau métier, crée une télévision, me met à l’écran. Très vite, je produis des émissions au carrefour du design de la mode et de la culture, afin de séduire les annonceurs. On est en 2006 et malheureusement peu de temps après mon mentor décède.
À cette époque, je rencontre mon mari que je suis tout d’abord en Normandie, puis à Montpellier. C’est là que je me lance dans la radio, pour Fun Radio, RTL2 et plus tard RTS. Je crée des spots publicitaires sur mesure pour les marques locales.
À la suite d’une rencontre avec Antoine Rémy de Groupon, au « Café Riche », mon QG à Montpellier, j’embrasse une carrière dans le Web. « Vous êtes une preneuse de risque, rejoignez Groupon ! ». Je les rejoins donc à Montpellier puis Paris.
Je rallie finalement le groupe Publicis en 2017, avec à sa tête Maurice Levy : ça a été un honneur pour moi de travailler pour lui. J’y ai approfondi mes compétences Web sur Google et Facebook.
En 2019, je décide de me lancer dans l’entrepreneuriat en combinant tous mes métiers mode, communication, web et humanitaire.
C’est à ce moment-là que tu as créé « Peulh Fulani » ?
Oui. J’ai fondé une marque inclusive de maillots de bain 100 % écoresponsables, adaptée à toutes les carnations de peaux et à toutes les morphologies. Les Peuhls sont une ethnie nomade d’Afrique de l’Ouest. Ils ont des tatouages sur le visage et sur le corps que nous avons reproduits, sur du polyester recyclé. Je travaille actuellement avec deux usines en France et au Portugal. J’ambitionne d’établir mes propres outils de production en France et en Afrique. La filière du textile est un secteur à dynamiser en misant sur les nouvelles technologies qui permettent aujourd’hui d’être créatif et innovant, tout en protégeant l’environnement.
Où en es-tu dans l’évolution de la société ?
La levée de fonds a été un parcours semé d’embuches, mais nous avons finalement récolté le financement. Je vais pouvoir travailler sur la prochaine collection 2023, qui sera sur le thème des pharaonnes. Un de mes rêves est d’organiser un défilé inclusif, pour toutes les femmes de 16 à 60.
Quelles sont les personnes qui t’ont inspirée dans ta carrière ?
Je pense en premier lieu à ma tante Katoucha, qui est partie trop jeune en 2008. Surnommée « la petite princesse Peulh », elle a été le 1er top model noir et égérie d’Yves Saint-Laurent. Ses combats pour l’excision m’ont inspiré. Son image de femme forte en transformation perpétuelle m’accompagne encore aujourd’hui.
Une autre personnalité fascinante, c’est Michèle Obama. Elle n’a pas seulement été l’épouse du 44e président des États-Unis, la première « First Lady » noire de l’histoire de ce pays et la mère de famille que l’on connait. Durant les deux mandats présidentiels de son mari, elle s’est engagée pour de nombreuses causes : comme la lutte contre l’obésité, les droits des personnes LGBT ou l’éducation des jeunes filles dans le monde. Elle est un modèle pour moi.
La dernière est Simone Veil, sa force malgré sa vie difficile et ses sacrifices m’ont guidée.
Aurais-tu un endroit dans le monde, que tu aimerais nous partager ?
Je pense à une petite plage incroyable à Bali, qui s’appelle Jimbaràn. Elle fait du bien et apporte de très belles énergies. J’ai également le village de Djiragone en Casamance au Sénégal, le meilleur endroit pour se ressourcer au cœur de la nature, en mangeant un bon Thiéboudiène.
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
Mon mantra c’est « Ubuntu », une philosophie africaine qui signifie :
« Nous ne sommes rien sans le partage avec les autres ».
A propos de l’auteur : Pascale Caron, membre du bureau MWF Institute est CEO de la société Yunova Pharma, implantée depuis 2020 à Monaco et commercialise des compléments alimentaires dans la Neurologie. Pascale est également directrice de rédaction de Sowl-initiative.