[Journaliste] Radio-TV
Interview de Marielle Fournier, journaliste radio, télévision, présentatrice et réalisatrice et consultante en communication.
By Pascale Caron.
Au sein du groupe M6 Marielle est plus connue du grand public pour l’emblématique « Les dossiers de Téva », où elle a présenté et réalisé des documentaires de société. Elle a consacré sa carrière à mettre en lumière des personnes remarquables, des faits de société et j’ai eu envie d’en savoir plus sur son parcours. Elle est très engagée auprès d’ONGs, comme « Ruban Rose », pour sensibiliser le grand public au cancer du sein et soutenir la recherche, « Toutes à l’école » de Tina Kiffer au Cambodge. Elle est également administratrice de l’association « Petits Princes ».
Qu’est-ce qui t’a amené à faire carrière dans le journalisme ?
À l’origine je voulais être danseuse, et j’avais fait le conservatoire à Nice. À la suite d’un problème de colonne vertébrale, j’ai dû arrêter net et me diriger vers une autre voie. J’étais très attirée par le cinéma et j’adorais raconter des histoires : le métier de réalisateur m’attirait. Je me suis dirigée vers des études d’histoire et de cinéma. Et puis un événement majeur a changé ma vie : en 1981, c’est la libération des ondes, et l’arrivée des radios pirates comme on les appelait, la FM ! Je me suis retrouvée derrière un micro, un peu par hasard pour dépanner une copine et mon histoire radiophonique a commencé. J’ai continué mes études en parallèle et je me suis construit une solide expérience d’animatrice radio sur le tas. C’est grâce à Armant Jammot, un grand bonhomme de la télé et de la radio que j’ai pu décrocher mon premier stage à Europe 1. Il m’a reçue par gentillesse et m’a gardé 2 h en conversation dans son bureau. Mon parcours lui a plu, il a cru en moi et a décidé de m’aider. Il est devenu mon mentor.
Je n’ai pas de journaliste dans ma famille, mais j’adorais les interviews quand j’étais petite et Tintin était mon héros. Mon expérience de 6 ans de radio « libre » a été déterminante. À l’époque il y avait peu de femmes sur Europe 1, nous étions 10 sur 70, difficile donc de se projeter et de se sentir légitime. Mais nous avions Catherine Nay, notre grande sœur, un personnage inspirant, un vrai rôle modèle.
Quand tu démarres, tu dois faire tes armes et commencer par des sujets lourds à toute heure du jour et de la nuit (accidents, explosion). Mais dès que j’ai passé la période probatoire, je me suis sentie dans une famille avec une vraie cooptation.
Toute jeune reporter à Europe 1, à 24 ans, on m’envoie couvrir le Noël de l’Élysée, sous la présidence de François Mitterrand. Vanessa Paradis chantait ce jour-là « Joe le Taxi », j’étais immergée sous les ors de la république. Dans la même journée, j’ai fait un reportage sur une petite mémé dans une banlieue défavorisée. C’est ce jour-là que j’ai touché du doigt ce que pouvait m’apporter ce métier : une vraie aventure humaine et une diversité incroyable. J’avais trouvé ma place.
Comment as-tu démarré à la télévision ?
Je faisais les infos à la radio le matin et c’est comme cela que je me suis fait remarquer par les patrons de chaine, TF1 tout d’abord et ensuite M6. Même si je n’ai pas fait d’école de journalisme, mes 6 ans de radio derrière moi m’avaient permis d’affirmer un ton qui sortait du lot, un style original. Je n’étais pas formatée et c’est sûrement ce qui les a attirés. L’équipe M6 bouillonnait de créativité avec une moyenne d’âge très jeune et une énergie incroyable. J’ai débuté par un format 10 min hebdomadaires, sur l’histoire, s’en est suivie une série de prime times, où j’étais la rédactrice en chef et l’animatrice. Nous étions une équipe de filles, dans une sorte de bulle, une expérience très forte. L’émission s’appelait « Demain tous » (Obèses, accros…). Elle abordait les tendances de société avec un positionnement entre Jean-Luc Delarue et Mireille Dumas. Un des tournants importants a été quand la chaine a racheté Teva. J’ai alors présenté les « Dossiers de Teva » pendant 15 ans. On a démarré avec de petits moyens, et j’ai pu réaliser des documentaires.
Quel est le documentaire qui t’a le plus marqué ?
Le 1er sûrement, il faut dire qu’il était particulier : j’ai abordé le sujet de la réinsertion des femmes après la prison. À l’époque il y avait le fait divers d’une femme qui avait tué ses enfants et les avait enterrés dans son jardin. Je me suis réveillée un matin en me demandant « après avoir purgé sa peine, qu’est-ce qu’elle devient ? ». Elles ne devenaient pas grand-chose en fait. Les juges évitent de mettre les femmes en prison, car elles perdent le contact avec leurs familles et quand elles sortent c’est souvent la récidive ou la drogue. Certaines n’avaient qu’une envie, c’est d’y retourner pour retrouver cet univers carcéral structurant. Leurs familles leur avaient tourné le dos. Se retrouver seule dans le silence les angoissait. J’ai fait d’autres reportages plus légers, comme la folie du tatouage ou encore le pouvoir dans le couple. À ce sujet j’avais pu interviewer un personnage emblématique qui portait la culotte : une ancienne grande dirigeante de Coca Cola Europe et jury des femmes en or. Avec l’accord de son mari, elle a accepté de nous montrer l’envers du décor. J’ai aussi mis en lumière les mamans qui avaient un handicap : au départ, la chaine n’était pas intéressée, mais le succès de « La famille Bélier » en 2014 les a convaincus.
J’ai arrêté la présentation des dossiers de Téva depuis 2 ans. J’ai continué une année avec des émissions spéciales, comme l’affaire Weinstein et le mouvement #metoo, et sur les enfants nés de fécondation in vitro avec donneur qui recherchent l’identité de leur père. J’ai continué la radio et je me suis lancée dans les podcasts.
Tu fais également des médias trainings et des conférences, as-tu des anecdotes ?
Oui, dans notre jargon on appelle cela faire des ménages. Mais les conférences c’est intéressant, car on a la possibilité d’entrer dans les arcanes des grosses entreprises. Une année j’ai remplacé un journaliste à la volée pour Suez lors de l’expo universelle de Lisbonne. Ils avaient 3 jours de conventions sur l’Énergie. C’est là que j’ai connu Gérard Mestrallet : pour son discours de clôture, je lui ai proposé un format différent, une interview à la volée sans préparation. J’ai été fascinée par son intelligence et sa facilité de rebondir sur mes questions. C’est une belle gymnastique intellectuelle de s’adapter au contexte.
Tu enseignes également le journalisme à Nice, n’est-ce pas ?
Oui je ne fais pas de cours magistral, mais des travaux pratiques. On fait une conférence de rédaction le matin pour décider des sujets à traiter, ensuite ils partent en reportage et l’après-midi on corrige. Je transmets mon métier, c’est très important pour moi. Ils apportent leurs nouvelles visions des choses et moi la rigueur : je suis très exigeante, j’ai été à bonne école. Europe 1 était la radio de référence à l’époque. Je leur inculque des valeurs et leur apprends à ne pas zapper les informations. La transmission s’est beaucoup perdue actuellement : on est dans un environnement plus compétitif, où tout va plus vite. Les jeunes ont remplacé la génération des sexas sans avoir le temps d’apprendre d’eux.
Quel a été l’impact de la crise du COVID sur ton activité ? Quels sont tes prochains challenges ?
Je suis redevenue très Niçoise depuis le 1er confinement. J’ai passé 28 ans à me partager entre Paris et Nice, c’est un vrai changement de vie. Pendant cette période de calme, je me suis mise à écrire : c’est un travail collectif à 3, pour la télévision. C’est un peu tôt pour en parler, mais c’est passionnant. Je me suis lancée aussi dans des interviews sur Facebook, en présentant au début des artistes niçoises. Je vais développer ce format pour mettre en lumière des femmes, face caméra avec des plans simples, sans agressivité, dans l’empathie.
Tu es très engagée dans plusieurs associations, peux-tu nous en parler ?
Oui, tout d’abord l’association « Petits Princes » qui réalise les rêves des enfants atteints de pathologies lourdes. C’est tout d’abord l’histoire d’une rencontre avec Dominique Bayle, la fondatrice. C’est une femme incroyable, monitrice de ski, ange gardien. C’est un personnage étonnant qui en prenant conscience de la force de l’imaginaire pour les enfants malades, y a consacré sa vie. Je participe à mon niveau en activant mon réseau afin de réaliser les rêves.
Je soutiens aussi le travail extraordinaire de Tina Kieffer au Cambodge avec son association « Toutes à l’école ». Je connais Tina depuis 30 ans et je l’avais invitée dans des émissions. L’école Happy Chandara près de Phnom Penh scolarise les filles de la maternelle (qui ouvrira à la rentrée prochaine) au bac. L’association les accompagne dans leurs études et jusqu’à leur premier emploi. Chaque année, 100 nouvelles petites filles sont inscrites. Cela représente 1400 gamines et 3 promos de Bac.
Peux-tu nous parler de ton expérience lors du Trek Rose Trip ? Je vous avais soutenues 😉.
Le Trek Rose est une belle aventure humaine que j’ai faite en équipe avec ma fille et une amie d’enfance. On était par équipe de 3, à pied dans le désert pendant 5 jours. C’est une course d’orientation, où tu parcours 20 km par jour. Cette aventure demande un grand travail sur soi. Au cours de ces épreuves, tu dois puiser dans tes ressources mentales et tu réalises ce que tu es capable de faire. Après cette expérience la vie devient plus intense. J’ai pu voir ma fille sous un autre jour, elle m’a bluffée et je lui ai découvert un tempérament de gagneuse : tant et si bien que nous avons remporté la course !
Quelles sont les personnes qui-t-on inspirées dans ta carrière ?
Tout d’abord Armant Jammot qui a été celui qui m’a mis le pied à l’étrier dans l’univers médiatique parisien, un grand monsieur de la télévision et de la radio. Sa rencontre a été déterminante pour ma carrière.
J’ai été inspirée par beaucoup de femmes que j’ai côtoyées dans mon travail. Pour moi travailler avec elles était beaucoup plus simple, car il n’y avait pas d’ambiguïté de séduction qui aurait pu parasiter quoi que ce soit. Je mentionnerai Catherine Nay, un personnage incroyable qui a eu une vie romanesque et également Simone Weil.
Dans ceux que j’ai eu le privilège d’interviewer, je citerai Maurice Béjart et Jean D’Ormesson. Ce sont des personnes d’une grande simplicité, comme la plupart des très grands d’ailleurs.
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Je recommande « La familia grande » de Camille Kouchner. En dehors du battage médiatique, c’est une œuvre littéraire extrêmement bien écrite, où elle se met en scène avec intelligence. Elle y dépeint les relations avec sa mère et les liens qui se sont distendus.
Pour terminer quelle est ta devise ?
« Au pire c’est non ! »