L’artiste qui fait fondre le monde

Interview de Laurence Jenkell, alias JENK, Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, sculptrice et peintre française d’art contemporain.

Par Pascale Caron

Lorsque l’on mentionne le nom de Laurence Jenkell, une image vient immédiatement à l’esprit : ses célèbres sculptures de bonbons torsadés, monumentales, colorées, et reconnaissables entre mille. Les sculptures de Laurence Jenkell ornent des lieux prestigieux dans plus de 50 pays : musées, collections privées, et espaces publics. De New York à Saint-Tropez, en passant par le World Trade Center et l’aéroport de Nice, son art transcende les frontières géographiques et culturelles.

Son actualité est foisonnante : des expositions à Monaco, Dubaï et Antibes, des collaborations en cours, et le développement de nouvelles collections. Mais malgré ce rayonnement mondial, elle reste fidèle à ses racines et à son amour pour l’enfance et la douceur.

Laurence Jenkell est une artiste passionnée, une entrepreneuse visionnaire, et une femme engagée. Son art, comme elle, est une célébration de la résilience et de l’espoir, un rappel que la beauté peut naître des torsions de la vie. Je vous livre donc notre entretien.

 

Comment es-tu devenue artiste ?

« Par accident ! », me dit-elle en souriant. « Avant la naissance de mes filles, je travaillais dans l’hôtellerie de luxe à Cannes, notamment au Martinez comme responsable des congrès, et au Carlton en relations publiques. C’était exigeant, mais passionnant. Pendant mon temps libre, je m’essayais aux Beaux-Arts : aquarelle, fusain, dessins de nu… Mais à l’époque, c’était juste un hobby.

Ma vie a basculé avec la naissance de mes filles. Mon mari m’a demandé d’arrêter de travailler pour me consacrer à la maison. C’était difficile à accepter, mais j’ai finalement cédé. » À ce moment-là, Laurence découvre un nouvel espace d’expression dans son sous-sol : « J’ai commencé à travailler sur des compositions. Les bonbons, dont on m’avait privée dans mon enfance, sont vite devenus une obsession. Je les chauffais, mélangeais résines et acryliques, et réalisais des tableaux-pièges enfermés dans du plexiglas. »

Mais sa passion dévorante, alimentée par des nuits entières de travail, devient source de tensions : « L’odeur de la résine agaçait mon mari. C’est à ce moment-là que j’ai eu l’idée d’utiliser les chutes de plexiglas pour créer une sculpture. Un four de cuisine, une torsion à droite, une torsion à gauche… Et le bonbon est né ! »

 

Et après ce premier bonbon ?

« J’ai travaillé d’arrache-pied pour perfectionner la technique. En 2006, deux hommes travaillant pour le sculpteur Jean-Claude Farhi m’ont aidée à utiliser un four professionnel à Menton. Ça m’a permis de passer à une autre échelle. À ce moment-là, Jenkell s’est révélée. C’est une contraction des prénoms de mes filles : Jennifer et Kelly. »

Sa carrière connaît alors une accélération fulgurante. Coca-Cola commande une série en 2006, et en 2011, ses sculptures ornent la Croisette pendant le G20 à Cannes, sous forme d’énormes « Bonbons Drapeaux ». Ce succès symbolique, qui mêle art et diplomatie, propulse Laurence sur la scène internationale.

 

Tu as mentionné que la torsion représente plus qu’un simple geste artistique. Que veux-tu exprimer à travers cette signature ?

« La torsion, c’est ma manière de tordre le cou au passé. C’est aussi une métaphore des tensions et des souffrances que l’on traverse dans la vie. Elle évoque la résilience, mais également des problématiques plus larges : l’environnement, les violences faites aux femmes, la surconsommation… »

Ces préoccupations s’expriment dans ses œuvres récentes comme les « Wrapping Twist », qui symbolisent l’emballage froissé du bonbon, ou encore les « Monacandy », un hommage aérien à Monaco, inspiré des éventails d’été.

 

Parlons de ton installation à Monaco en 2020 sous le nom de JENK. Qu’est-ce que ce changement a représenté pour toi ?

« Monaco, c’était un nouveau départ. J’avais besoin de sortir de la démesure dans laquelle j’étais tombée : un atelier de 1000 m², quatre assistants à plein temps, des œuvres gigantesques… Je voulais me recentrer, à la fois sur ma vie et sur mon art. À Monaco, j’ai inauguré un atelier-galerie pour être plus proche des gens, pour partager mon savoir-faire. »

Aujourd’hui JENK redevient Jenkell et cette renaissance s’accompagne d’un moment clé la réouverture de son atelier à Valbonne. « C’est comme retrouver mes racines. Mon atelier et showroom, c’est un espace où je peux expérimenter, créer en toute liberté et exposer mes œuvres. C’est là que je suis vraiment moi-même. »

Dans ces deux ateliers Valbonne et Monaco, elle continue de perfectionner ses sculptures, mais elle explore aussi d’autres territoires : des collections plus petites, plus intimistes, qui allient innovation et excellence.

Sa volonté de transmission prend vie dans les ateliers « Make Your Own Bonbon », qu’elle a lancés en 2022. « Je voulais partager mon savoir-faire avec le public, et ces ateliers sont devenus un vrai succès », raconte-t-elle.

Ces sessions, d’une durée de trois heures, permettent à chacun de concevoir sa propre sculpture en plexiglas, guidé par Laurence elle-même. « C’est un moment de partage, de créativité. Les gens repartent avec leur bonbon unique, signé, et surtout, avec une expérience qu’ils n’oublieront jamais. »

Ouverts aux particuliers, associations et entreprises, ces ateliers reflètent parfaitement sa philosophie : rendre l’art accessible, tout en conservant un haut niveau d’exigence.

 

Tu es très investie dans les causes humanitaires. Pourquoi est-ce important pour toi ?

« L’art a une responsabilité. En tant qu’artiste, j’ai la chance d’avoir une voix, et je veux l’utiliser pour soutenir des causes qui me tiennent à cœur. » Depuis des années, Laurence participe à des ventes aux enchères caritatives et offre des œuvres pour des associations comme le Téléthon ou les Restos du Cœur.

En 2020, elle a créé une sculpture unique pour la Fondation des Femmes, remise en présence de Brigitte Macron. « C’est l’un des projets dont je suis la plus fière », confie-t-elle.

 

Comment vois-tu l’avenir de ton art ?

« Mon œuvre, c’est le bonbon, mais c’est surtout l’idée de torsion. Je ne m’arrêterais pas là. Je réfléchis à d’autres médiums, comme une ligne de joaillerie ou d’horlogerie. Et je veux continuer à explorer des thématiques plus profondes, en lien avec la société et l’environnement. »

 

Quelles sont les personnes ou les artistes qui t’ont inspirée ?

Laurence évoque des artistes comme Camille Claudel, Louise Bourgeois et Niki de Saint Phalle, mais insiste sur l’importance des rencontres. « Être autodidacte, ça me permet d’être curieuse, d’apprendre de tout. »

Elle parle aussi avec émotion de son ancien assistant, Marcel Charmeroy. Il l’a aidée à perfectionner sa technique avant de décéder en 2014. « Il m’a énormément soutenue. C’était un homme fabuleux. »

 

Enfin, aurais-tu une devise à partager ?

« Quand on veut, on peut », dit-elle avec conviction. « Et puis, j’aime cette phrase : “Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas.” C’est toute ma vie. »