[Bieres-Bio] CocoMiette

Interview de Charlotte Desombre, cofondatrice de Cocomiette, une marque de bière engagée et responsable qui lutte contre le gaspillage du pain.

By Pascale Caron.

 

Charlotte a fait ses études à l’EDHEC dans le commerce, et a vécu à Hong Kong pour travailler chez L’Oréal. En 2012, elle effectue un premier virage à 180° pour rejoindre l’équipe qui créera l’antenne francilienne de « Sport dans la ville », responsable des partenariats. En 2018 elle saute le pas et fonde Cocomiette avec Amandine Delafon.

 

 

 

Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel et qu’est-ce qui t’a amené à te lancer dans l’entrepreneuriat ?

 Très jeune j’ai eu envie de créer mon propre business. Je suis tombée toute petite dans le chaudron d’une famille d’entrepreneurs et pourtant j’ai attendu mes 38 ans pour concrétiser mon rêve. Après mes études, je suis partie à 10 000 km de Paris, à Hong Kong, pour travailler chez L’Oréal. J’étais chef de produit pour Lancôme et nous gérions les implantations en aéroport. Les femmes asiatiques ont une routine de soin très avancée et ces marques étaient en pleine expansion. J’y suis restée 4 ans. La vie à l’étranger sans famille à Hong Kong était chouette et le retour à Paris fut plutôt compliqué. J’ai poursuivi ma carrière pendant 4 ans chez L’Oréal dans l’équipe de soin Lancôme et j’ai beaucoup appris dans le marketing.

En 2012, en quête de sens, j’ai rejoint « Sport dans la ville », une association lyonnaise sur l’insertion de jeunes issus des quartiers populaires, qui s’ouvrait à Paris. J’étais responsable des partenariats : nous avions besoin de lever des fonds auprès de fondations d’entreprises. Au sein de cette association, il y avait une forte dimension entrepreneuriale, car tout était à construire et nous étions en contact quotidien avec les jeunes. J’ai beaucoup aimé cet environnement qui me changeait de mes pots de crème ! Chaque action avait un sens. Je ne renie pas l’expérience que j’ai accumulée chez L’Oréal qui me sert encore aujourd’hui. J’y ai été également très soutenue par des femmes managers qui m’ont inspirée.

J’aurais pu rester chez « Sport dans la ville » toute ma carrière, mais 2016 fut l’année d’un réveil écologique. Amandine Delafon et moi étions amies depuis nos études à Lille il y a vingt ans. Au détour d’une bière, véridique, on réalise qu’on avait le désir d’entreprendre ensemble. Avec une sensibilité partagée autour du recyclage, on s’est vite concentrées sur le gaspillage alimentaire. Nous nous sommes inspirées de la bière belge Babylone du « Brussels Beer Project ». Après de nombreux échanges sur l’envie de « faire notre part », nous décidons de créer Cocomiette en 2018, une bière engagée qui propose de lutter contre le gaspillage du pain. Nous fondons la société en aout 2018 et nous démarrons la commercialisation, en janvier 2019.

 

D’où vient le nom de Cocomiette ?

Coco est la mascotte de Cocomiette, un colibri, rendu célèbre par une légende amérindienne, racontée par Pierre Rabhi. « Un jour, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants, le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : “Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ! Et le colibri lui répondit : — je le sais, mais je fais ma part. »

 

Peux-tu nous en dire plus sur Cocomiette ?

Nos bières sont élaborées en intégrant du pain BIO invendu en remplacement d’une partie des malts. Nous le collectons auprès de magasins et de fournils BIO et le transformons en chapelure. Ce pain retrouve ainsi une seconde vie en jouant le rôle de céréales dans nos recettes. Le processus de brassage extrait les sucres de l’amidon qui sont nécessaires au travail des levures lors de la fermentation.

Nos bières sont brassées par plusieurs partenaires avec du pain local dans deux régions, Auvergne-Rhône-Alpes et Île-de-France.

Nous sommes convaincues que c’est l’action de tous qui permettra une transition vers un système alimentaire plus respectueux de l’humain et de la planète, plus résilient et soucieux de la préservation des ressources. Nous avons créé notre entreprise pour intervenir à notre niveau et contribuer à transmettre un monde plus vertueux aux générations à venir. Nous croyons à une nouvelle façon de produire et de se nourrir, plus verte, circulaire et inclusive.
Nous tentons humblement de faire au mieux à chaque étape du cycle de vie de nos bières Cocomiette, de l’approvisionnement à la distribution. Nos matières premières sont issues de filières respectueuses de l’environnement. Toutes nos recettes intègrent une part d’invendus. Nous privilégions les fournisseurs locaux ou français. Elles sont livrées en vélo ou véhicules propres dans nos deux régions de fabrication Isère et Île-de-France.

Nous sommes actuellement 5, Amandine et moi-même, Nathalie Munsch notre maitre brasseur, et 2 alternantes.

 

Où êtes-vous distribués ?

Nous sommes présents pour 1/3 dans les épiceries, cavistes et fromagers, pour 1/3 dans les bars et restaurants et le dernier tiers dans les magasins BIO. Nous sommes labellisés BIO depuis 1 an, ce qui est une belle réussite, car on a du collecter des pains BIO, et chercher certains ingrédients labellisés pendant de longs mois.

 

Quels sont vos prochains challenges ?

Nous avons décidé d’être fabriqués et consommés en France ; l’aspect local est très important pour nous. Il faut maintenant plus se faire connaitre et gagner en notoriété dans les régions où nous sommes présents. Nous voudrions également avoir nos propres installations pour innover et maitriser la production : jusqu’à présent, nous travaillons en collaboration avec des brasseries partenaires. Enfin, nous souhaiterions répliquer le cercle vertueux que nous avons mis en place en collaboration avec l’eau vive à Grenoble, une chaine de magasins bio. Nous récupérons leurs pains invendus et ils commercialisent nos bières.

 

Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur vos activités ?

Dans un premier temps, nous avons été très impactés. Nos distributeurs originels étaient les bars et restaurants. Il a fallu faire appel à l’imagination et rechercher de nouveaux clients. Comme nous n’étions pas propriétaires de notre outil de production, nous avons eu la chance d’avoir des charges fixes très faibles. On a su garder la tête froide et finalement l’année 2020 s’est avérée une année de croissance pour nous.

 

As-tu été accompagnée pour la création et pendant la crise ?

Nous faisons partie du « réseau entreprendre » : nous avons été lauréats pour l’Isère. C’est à la fois un réseau et un club d’entrepreneurs. Cela nous permet d’échanger les bonnes pratiques avec beaucoup de bienveillance, mais aussi d’exigence. Ils sont toujours au rendez-vous. Nous sommes suivis par un chef d’entreprise et nous avons la possibilité d’être coachés sur certains thèmes comme, la stratégie commerciale et les outils de reporting. Ils nous forcent à prendre du recul, sortir la tête du guidon et analyser son business.

Grâce à Amandine, nous sommes entourés également d’un comité de pilotage ; il est composé de 4 personnes de notre réseau que l’on rassemble 2 à 3 fois par an. Nous validons nos objectifs, soumettons nos problématiques avec à la fin une dégustation de nos bières bien sûr !

 

Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?

Je suis admirative de tous les entrepreneurs, de l’artiste à l’agriculteur. Je mesure au quotidien la force qu’il faut avoir pour faire tourner son entreprise. Si je ne dois n’en citer qu’un, en dehors de mon père dont j’étais fan quand j’étais petite, c’est Hubert Motte qui a créé « la Vie est belt ». Son idée est de créer des ceintures à partir de pneus de vélos usés. L’objectif est de créer des produits de tous les jours qui ont du style, mais de matières déjà existantes. Ces ceintures sont confectionnées par des personnes en situation de handicap, en région lilloise.

 

Aurais-tu un livre à nous conseiller ?

Je viens de finir « Le comte de Monte Christo », oui j’ai attendu 41 ans pour découvrir la plume de Dumas. Il est écrit dans un Français exquis à une époque où l’héroïsme et l’élégance allaient de paire.

Dans un style plus « corporate », je conseillerais « la 25e heure ». C’est un livre rédigé par un collectif d’entrepreneurs français, qui donne plein d’idées et permet de travailler mieux pour travailler moins. On apprend les meilleures techniques de productivité pour libérer du temps pour faire ce qui compte vraiment.

 

En conclusion, aurais-tu une devise ou un mantra ?

« Haut les cœurs ! ». Faire preuve d’optimisme, aller de l’avant et faire confiance en la vie. C’est une expression qui remonte à l’époque médiévale, et qui parle de fougue et d’ardeur dans l’action et  je n’en manque pas !