[Architecture] d'intérieur

Interview de Charlotte Watine, Fondatrice et Directeur de W&You,

By Pascale Caron

 

W&You est une agence parisienne d’architecture d’intérieur et d’aménagement d’espaces professionnels. Décoratrice d’intérieur diplômée d’état, elle a créé sa société en 2017 en association avec Wissem Soussi, designer industriel diplômé des arts et métiers. Ils réunissent différents talents qu’ils font intervenir selon les problématiques des projets.

 

Comment es-tu devenue entrepreneure et d’où vient l’idée de W&You ?

Pour moi, l’architecture d’intérieur est une reconversion. J’ai commencé par des études d’arts et de cinéma en France et en Italie, puis un master de business International en Australie, où j’ai vécu 7 ans. J’ai eu la chance d’embarquer dans une belle aventure en rejoignant Advent group à mon retour en France. Spécialisée dans le recrutement de MBA internationaux, cette startup dont j’étais la directrice commerciale est passée de 7 à 125 personnes en 10 ans. Après 7 ans de vie trépidante à parcourir le monde, je me suis épuisée professionnellement. Mon patron m’a encouragé à fonder mon entreprise et à explorer un nouvel univers. J’avais adoré le management, mais le côté créatif pour lequel j’avais fait des études me manquait cruellement.

Je me suis inspirée de ma grand-mère, femme de diplomate qui sur le tard s’est reconvertie dans la décoration et a participé à de beaux projets d’ambassades.

J’ai donc repris le chemin des études et fait une formation intense d’un an. Cette période a été un tournant dans ma vie à plusieurs titres : c’est là que j’ai rencontré mon futur conjoint et associé, le deuxième W de W&You ! Il était designer automobile et avait entamé lui aussi une remise en question. Créer mon entreprise c’est fait par opportunités. Au départ, mon idée était de monter « un petit truc » en autoentrepreneur, mais les nombreux projets m’ont vite amenée à devenir une vraie société !

 

À la fin de ma formation, j’ai décroché un premier contrat : la refonte totale d’un espace de bureau de 1500 m2 pour Résoneo. J’ai appris en faisant et cela m’a passionnée. Depuis cette expérience on me confie beaucoup de chantiers de bureaux. De par ma connaissance du monde de l’entreprise, j’ai une vision claire de l’agencement des espaces de travail, et j’y ajoute une véritable réflexion sur le bien être des collaborateurs. Contrairement aux idées reçues, je trouve qu’il est intéressant de réunir les programmeurs dans des espaces ouverts pour les faire sortir de leur bulle et les commerciaux dans des zones fermées, car ils sont au téléphone constamment. J’organise des mini salles de réunion, des lieux de détente. Nous nous focalisons beaucoup sur l’acoustique avec des dispositifs qui sont devenus de véritables œuvres d’art. Depuis la covid les manières de travailler ont changé le retour au bureau doit être synonyme d’interactions par équipes.

 

En parallèle, Wissem collabore avec la galerie Itinerrance. Il est co-organisateur de la foire internationale d’art urbain, District13. Dans ce projet nous optimisons l’agencement et les cloisonnements des stands pour accueillir plus de galeries d’art. Proches des artistes de street art comme Obey ou Invader, nous avons à notre actif des projets de façades mêlant art et architecture pour le 13e arrondissement.

Dans un tout autre registre, nous avons conçu et décoré Chocco Bar, un bar à chocolat situé dans le 13e, faisant face aux futures tours Jean Nouvel. Notre client voulait une identité forte pour ce nouveau concept de chocolaterie qui devrait se développer dans plusieurs quartiers de Paris.

Comment as-tu vécu le passage à l’entrepreneuriat ?

En tant que salariée, j’avais vécu l’aventure d’une startup et j’avais l’impression que c’était ma boite. Bien sûr quand j’ai créé ma société je me suis vite rendu compte que je n’en avais pas exploré toutes les facettes. J’ai dû assumer tous les rôles d’un coup : production, comptable, commerciale, et cela avec 2 enfants en bas âge. Les journées sont très intenses. Wissem et moi nous sommes très complémentaires : il est très technique et moi j’ai une vision plus globale et commerciale. Je fais beaucoup de suivi de chantier, je sors beaucoup, alors que lui est très casanier. Nous ne travaillons pas toujours sur les projets ensemble ce qui permet à chacun de garder son périmètre. Ça s’est fait tout naturellement.

Peux-tu nous donner d’un exemple de réalisations qui t’a marqué ?

En coopération avec la galerie Itinerrance, nous avons eu le plaisir de participer à la conception et à l’exécution de la façade de la nouvelle maison de la Tunisie. Le pavillon Habib Bourguiba est un véritable défi technique et esthétique. Exploration Architecture et l’architecte tunisien Lamine Ben Hibet ont porté le projet. Le postulat de départ a été « Comment intégrer l’art dans l’espace public ? ».

La Galerie Itinerrance a confié à l’artiste calligraphe tunisien Shoof, la réalisation d’un lettrage représentant non pas un texte ni des mots, mais l’essence même de l’écriture arabe. L’étude et la conception de la façade ont été l’œuvre de Wissem. Il a pensé la double peau en aluminium qui enveloppe l’intégralité du bâtiment. La complexité résidait dans le placage du lettrage sur la façade tout en gardant la lumière à l’intérieur.

Le but de cette démarche, avant tout créative et artistique, était de retranscrire l’image d’une Tunisie moderne imprégnée de son identité avec une construction intemporelle.

 

C’est réussi ! Je la vois souvent du périph quand je viens à Paris. La crise de la Covid a-t-elle eu une répercussion sur tes activités ?

Comme tu peux l’imaginer, l’impact a été majeur sur les projets en entreprise et les grands chantiers. Chocco Bar par exemple a réduit ses ambitions d’extension et nous avons dû nous réinventer en rebondissant dans le résidentiel. Depuis la vie a repris et nous avons refait District 13 en janvier et le suivant est programmé en septembre.

 

Quels sont tes futurs challenges ?

Notre prochain défi est de sortir une ligne de mobilier. Nous avons créé un fauteuil et une chaise, produits sans empreinte carbone, fabriqués en France et économiquement viables. Je pourrais en dire plus bientôt.Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?

Je citerais en premier Christophe Coutat, d’Advent Group pour qui j’ai travaillé pendant 7 ans. Il m’a donné le goût de l’entrepreneuriat. On ne lui avait pas dit que c’était impossible alors il l’a fait, pour paraphraser Mark Twain.

Ma grand-mère, Christiane d’Halloy, a été ma muse. Femme de diplomate, autodidacte, elle est devenue décoratrice à 50 ans et a collaboré à de très beaux projets.

Dans l’architecture d’intérieur, je citerais India Mahdavi. Son style est cosmopolite, polychrome, influencé par le cinéma autant que par le design et l’art. Elle conçoit son métier comme une véritable récréation décorative, un conte en trois dimensions, métissant les époques et les styles, apportant humour et fantaisie, jouant avec les couleurs. Je suis admirative de ce qu’elle ose faire : j’aimerai avoir des clients fous !

Je pense également à Kelly Wearstler, architecte et graphiste américaine qui a fondé son studio à Los Angeles. En explorant la matérialité, la forme et une juxtaposition intuitive entre contemporain et vintage, elle crée des designs extraordinaires. Elle a beaucoup de courage dans ses choix, et chaque projet possède sa propre personnalité. C’est ce que j’essaye de faire avec mes clients, cela passe par beaucoup d’écoute. Les appartements doivent leur ressembler, c’est un perpétuel challenge qui fait constamment évoluer ma perception. Mon rêve serait de concevoir un hôtel ou un restaurant fou !

Aurais-tu un livre à nous conseiller ?

Je suis une fan de romans, ils me permettent de m’évader. Je conseillerai « L’invention de nos vies » de Karine Thuyle. Ce livre foisonnant, d’amour, de trahison, de mensonge, de réussite et de déchéance m’a passionnée.

Côté business, « The tipping point » de Malcolm Gladwell est un livre captivant. L’idée du Point de bascule est simple : pour comprendre l’émergence des modes, la naissance des best-sellers, ou tout autre changement a priori mystérieux, il suffit de les concevoir comme des épidémies. Retraçant la genèse de quelques succès retentissants, il nous livre les clés pour provoquer, à coup sûr, de véritables effets boule de neige. Comment New York, capitale du crime au début des années 1990, est-elle devenue en quelques mois une ville sécuritaire ? Comment une marque de chaussures « has been » a-t-elle reconquis le marché mondial de la mode grâce à quelques clubs branchés de Manhattan ?

En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?

« La vie est faite d’opportunités qu’il faut savoir saisir ». En vieillissant, on comprend que tout se met en ordre, je me laisse porter.