[Restauration] Entre la France et le Japon

Interview de Natsuko Perromat du Marais, CEO et co-fondatrice de Furifuri qui commercialise le furifaké, une alternative au sel très usitée au Japon.

By Pascale Caron

Natsuko Perromat du Marais est franco-japonaise et a travaillé plus de quinze ans auprès des plus grands chefs, dont 10 pour Alain Ducasse.
Le furifaké, c’est un condiment à base de graines de sésame et d’algues, très en vogue au Japon, qui remplace le sel et ravive les plats avec des saveurs différentes et que Natsuko apprécie depuis toujours. Avec son associée Julie Renaud, pharmacienne spécialisée en nutrition, elle crée la première marque de furifaké 100 % naturel et fabriqué en France. La marque FURIFURI naît ainsi à Nice en 2020.

Peux-tu nous expliquer ton parcours et ce qui t’a amenée à devenir chef d’entreprise ?

Franco-japonaise, j’ai vécu à Tokyo de 3 à 10 ans et j’y ai passé tous mes étés jusqu’à 18 ans. Je lis, écris et parle le japonais. J’ai ensuite habité 5 ans à Londres puis en France dans mon adolescence. Ce multiculturalisme est la base de ma personnalité. J’ai par la suite fait mes études en Suisse à l’École Hôtelière de Lausanne, poussée par des envies de voyage.

New York était une destination dont je rêvais. Je suis partie à New York en me disant « If you can make it in NYC, you can make it anywhere ». J’ai commencé à travailler pour Alain Ducasse, c’était l’ouverture de son premier restaurant aux US. J’ai débuté en gérant la partie administrative et F&B, et j’ai été plus tard responsable communication et assistante personnelle d’Alain Ducasse pendant 5 ans. Ça a été très « challenging », car le restaurant n’a pas été bien accueilli par les médias new-yorkais au départ. Avec beaucoup de persévérance, nous avons quand même réussi au bout de 3 ans, en obtenant le Graal : 4 étoiles au New York Times ! On a inauguré par la suite un deuxième restaurant à NY.

J’avais un rêve, celui de repartir à Tokyo. Alain Ducasse me propose de superviser l’ouverture de son restaurant en haut de la tour Chanel. J’y suis arrivée 6 mois avant l’ouverture et il a fallu tout mettre en place. Je connaissais le Japon à travers mes yeux d’enfants, et j’ai beaucoup appris sur la culture japonaise dans le monde professionnel. Ça a été 2 années extrêmement intenses. On a ouvert 2 restaurants à Tokyo et à chaque fois, je me disais que ce serait ma dernière ouverture !

 

J’avais rencontré mon futur mari à New York et après 2 ans de relation à distance, nous avons décidé de nous retrouver à Paris. J’ai travaillé alors au siège du groupe Alain Ducasse et j’ai supervisé l’exportation au Japon des franchises « boulangépicerie ».

Et puis l’envie de repartir m’a repris et nous nous sommes installés à Londres où j’ai fait l’ouverture du restaurant Alain Ducasse dans l’hôtel Dorchester.

Au bout de 2 ans, mon époux a eu une proposition à Monaco. C’était en 2010 et ça tombait bien, Alain Ducasse avait pour projet d’ouvrir une école de cuisine à Monaco. Je suis donc partie et cela fait 12 ans que l’on est installés dans le Sud.

Finalement j’ai travaillé pendant 5 ans pour Jean-Claude Messant, le directeur général de l’hôtel Métropole. C’était un projet de restaurant à New York avec Joël Robuchon puis Anne Sophie Pic à New York. Le projet n’a pas abouti, mais la rencontre a été formidable. Ça a également été un bel enseignement de ce qu’il ne fallait pas reproduire !

Avec le recul, chaque ouverture de restaurant était comme la création d’une startup (et j’en ai fait 7 pour Alain Ducasse), tout cela m’a beaucoup appris pour la suite.

C’est ce qui t’a décidée à te lancer ?

Oui, j’avais toujours eu cette envie… je me suis donc lancée dans l’entrepreneuriat en 2016. J’ai rencontré Alexandra Petit, mon associée avec qui nous avons monté un « wine bar » et restaurant à Londres « Clarette », un « town house » sur plusieurs étages, dans le quartier Marylebone. Clarette est aujourd’hui devenu une véritable institution. Notre ambition était d’en ouvrir d’autres, on était en discussion pour un superbe emplacement à Londres et la COVID est arrivée. Ça a été une grande remise en question, et mon projet de vie en a été bouleversé.

On s’est retrouvés mes 3 filles et mon mari, à prendre nos repas tous les jours à la maison pendant le confinement. Je leur servais souvent du furikake japonais et ils en raffolaient. En étudiant les compositions, je me suis rendu compte qu’ils étaient malheureusement tous remplis d’additifs. L’idée de créer des furikakés naturels a donc germé !

Je n’avais pas envie de me lancer seule, et j’en ai très vite parlé à mon amie Julie (elle-même entrepreneure) car je savais que nous étions très complémentaires et qui a été emballée par le produit. Nous avons ensuite demandé à un Chef japonais que je connais et apprécie depuis plusieurs années, Keisuke Matsushima, installé à Nice depuis plus de 20 ans, de créer nos recettes. Il est très concerné par la réduction du sel dans la cuisine et forme les jeunes à mieux manger. Nous avons réalisé 4 saveurs (l’original aux algues, citron, piment fort et curry), et 3 autres sont en cours de création. Nous sommes accompagnées également d’une nutritionniste experte du goût Unami. Il n’y a ni d’additifs, ni conservateurs, ni colorants et seulement 5 % de sel ajouté. La majorité du pouvoir salant est amené par les algues et elles viennent toutes de Bretagne. C’est un condiment très facile à utiliser sur tous les plats du quotidien et rempli de valeurs nutritionnelles (riche en protéines, fibres, minéraux et vitamines). Le packaging de FURIFURI est en kraft, 100 % recyclable. La marque est engagée et soutient l’association « 1% for the Planet ».

En octobre, nous avons lancé une campagne de crowdfunding sur Ullule qui a atteint 1000 % de son objectif avec plus de 5000 sachets vendus en 4 semaines, nous avons dépassé nos objectifs les plus fous ! Nous nous lançons en avant-première du 13 au 26 mars à la grande épicerie de Paris. Nous avons également signé un partenariat avec un grossiste de produits japonais.

 

 

Quelles sont les prochaines étapes ?

Nous allons faire grandir notre communauté, et travailler avec de plus en plus de restaurateurs. Nous croyons beaucoup à l’export, Belgique ou même Japon. Nous avons vendu notre première palette de 2400 produits il y a quelques semaines.

Nous avons trouvé une céramiste à Grasse qui a créé des pots que l’on peut laisser sur table et que l’on rechargera avec des contenants plus grands. Nous avons également le pot B2B de 370 g pour les pros. Nous travaillons sur d’autres alternatives inspirées de produits japonais, les idées innovantes ne manquent pas !

 

Quelles sont les personnes qui t’ont inspiré dans ta carrière ?

Alain Ducasse a été fondateur pour moi, c’est un artiste et un visionnaire. Il m’a appris la perfection : « Il n’y a pas de petits détails, chacun compte ». C’est une exigence au quotidien. Il n’a peur de rien, il m’a donné confiance en moi en me disant « il faut y aller ».

 

Aurais-tu un livre à nous conseiller ?

« Le dictionnaire amoureux du Japon » de Richard Collasse. C’est l’ancien DG de Chanel au Japon, pour qui j’ai travaillé. C’est un recueil incroyable pour décoder les énigmes de ce pays fascinant et s’éloigner des idées reçues ! Il fournit des clés essentielles pour comprendre les paradoxes de cette culture hyper moderne dans laquelle les traditions et le rituel se mélangent.

Aurais-tu une devise ou un mantra ?

« Haut les cœurs ! », en hommage à mon père qui vient de nous quitter, qui me le répétait souvent et qui m’a toujours encouragée et soutenue dans toutes mes décisions.

 

A propos de l’auteur : Pascale Caron est membre du comité de MWF Institute et spécialiste de la technologie dans le domaine de la santé. Elle est CEO de la société Yunova Pharma, implantée depuis 2020 à Monaco et commercialise des compléments alimentaires dans la Neurologie.

Pascale est également directrice de rédaction de Sowl-initiative.