[ART] Galerie

Interview de Claire Le Gouill, fondatrice de l’Art de Claire Galerie.

By Pascale Caron.

 

« Art de Claire Galerie » est une galerie d’art moderne située au sein du Village des Talents Créatifs, à Puget sur Argens.

Claire est également membre du jury du « festival de la photographie surréaliste » de Fréjus, et commissaire d’exposition du Festival Base’art. Elle est très engagée au niveau associatif et a participé à la création de la délégation FCE, Var Esterel dont elle a pris la présidence en 2023.

 

 

 

Qu’est-ce qui t’a amenée à devenir cheffe d’entreprise?

J’ai toujours été passionnée par l’art et la culture. J’y ai baigné depuis toute petite, car ma grand-mère était chanteuse d’opéra.

Au départ ma passion était la danse, mais mon corps n’a pas suivi et j’ai dû renoncer à mes rêves pour des problèmes de genoux. Je suis originaire de Nice et je me suis ensuite passionnée en autodidacte pour les artistes de l’école de Nice. J’ai construit mon gout pour l’art à travers les œuvres d’Arman et de César en parcourant les musées de ma ville natale. A 19 ans, j’ai travaillé pour l’emblématique Jean Ferrero et sa femme Michelle au sein de sa caverne d’Ali Baba rue du congrès à Nice. Nous avions un rapport affectif, tant et si bien qu’ils ont nommé leur 2e fille Claire… C’était une première plongée dans le monde de l’art auprès d’un homme qui avait côtoyé mes idoles et avait rassemblé une collection d’exception.

Après un DUT en communication et une licence des arts du spectacle option danse, j’ai débuté ma carrière au sein de la compagnie de danse Bruno Jacquin en tant que chargée de la diffusion et de la communication. Puis J’ai été responsable communication et relations presse pour le théâtre de Draguignan. Quand je suis tombée enceinte, j’avais 25 ans puis j’ai réfléchi à une reconversion. Mon ex-mari était dans l’immobilier, et j’ai créé pour son entreprise une nouvelle activité de location saisonnière et d’administration de biens pendant 15 ans.

En 2018, à la suite de mon divorce, j’ai revu Jean Ferrero qui est toujours resté mon mentor. Je n’avais pas encore une idée précise sur ce que je voulais faire et c’est lui qui m’a suggéré d’ouvrir ma propre galerie. J’ai donc suivi son conseil en appliquant ma vision du monde de l’art : le lier au monde de l’entreprise. Mes valeurs sont l’honnêteté, le partage et la transmission du savoir-faire. L’art doit être accessible au plus grand nombre.

Les galeries sont des sortes de musées gratuits. Elles permettent d’éveiller à l’art, ceux qui ne fréquentent pas forcément les grands lieux. Je mets un point d’honneur à partager, à aller à la rencontre d’autres publics et j’organise ainsi des expositions hors les murs. Je propose notamment des ateliers de « team building » pour les entreprises, de l’art événementiel mêlant l’art et la musique. Nous offrons également des œuvres d’art, avec les artistes de la galerie, lors d’événements caritatifs comme pour l’association « Pallia aides », à l’opéra de Nice, ici l’artiste Alexandre LLSSG.  Les artistes que je représente sont dans la grande majorité des artistes émergeants de la région. Et des artistes reconnus comme Patrick Moya et Jean-Marc Calvet. Je fonctionne au coup de cœur, humain et artistique.

 

Quels sont tes futurs challenges?

Mon challenge principal est d’aller à la rencontre de mes collectionneurs, des amateurs d’art en organisant des vernissages, en exposant hors des murs, en créant des rendez-vous. Pour cela je mets en place des collaborations, comme avec le Théâtre Le Forum à Fréjus, avec des domaines viticoles ou en faisant des salons d’art contemporain comme Nice Art expo qui va se tenir prochainement en avril. Je voudrais faire rayonner l’art sur notre territoire.

 

Peux-tu nous parler de ton engagement auprès des Femmes Chefs d’Entreprises?

Nous avons créé avec des femmes dirigeantes du territoire une antenne FCE Var Esterel. On s’est lancé ce challenge et nous sommes actuellement 17 membres. J’ai élue présidente pour 2023/2024. Il y a tout à construire, mais tout le monde est motivé et de bonne volonté. Nous partageons toutes les mêmes valeurs de solidarité et d’entraide. Je suis également au conseil d’administration de l’Union patronale du Var.

 

Quelles sont les personnes qui t’ont inspirée dans ta carrière?

Je citerais Jean Ferrero. C’est un personnage singulier qui m’a poussée à ouvrir ma galerie. Quand j’ai commencé stagiaire chez lui à 19 ans, je classais, j’astiquais les bronzes de l’école de Nice qui constituait sa collection tout en écoutant ses histoires avec les artistes…

Il y a aussi Suzanne Tarasieve, une grande figure du monde de l’art qui nous a quittées l’an dernier. Elle a propulsé notamment Éva Jospin une artiste qui travaille dans le recyclage. Elle s’est démenée pour mettre en avant des artistes français.

Comme elle je sélectionne également des artistes dans le recyclage et je participe à certaines œuvres en cocréation : cela me permet de donner libre cours à mon imagination.

 

Aurais-tu un livre à nous conseiller?

 « Femmes d’art », c’est un média, un podcast, un livre et un Club dédiés aux femmes qui font le monde de l’art aujourd’hui.  Il a été lancé en 2019 par Marie-Stéphanie Servos, d’abord sous forme de podcast. « Femmes d’art » a vocation à mettre en lumière toutes les femmes qui créent ou agissent dans ce secteur, qu’elles soient artistes, galeristes, historiennes ou directrices d’institutions. C’est aussi un, Club qui rassemble des amatrices d’art, des collectionneuses et des expertes autour d’événements inédits, dans des lieux artistiques et culturels d’exception.

 

Quel est ta devise ou ton mantra?

J’en ai 2, une de Wonder Woman « Risquer c’est l’assurance de vivre sans regret », et une autre de Nietzche « Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts ».

 

A propos de l’auteur : Pascale Caron est membre du comité de MWF Institute et spécialiste de la technologie dans le domaine de la santé. Elle est CEO de la société Yunova Pharma, implantée depuis 2020 à Monaco et commercialise des compléments alimentaires dans la Neurologie.

Pascale est également directrice de rédaction de Sowl-initiative.

 

 


[Galerie] d'art

Interview d’Hélianthe Bourdeaux-Maurin, Directrice et Fondatrice de « H Gallery » à Paris.

By Pascale Caron

Historienne d’art, elle est diplômée de l’École du Louvre, titulaire d’un Master 2 à la Sorbonne et d’un Doctorat d’histoire de l’art. Après huit ans à New York et 6 ans à la Pinacothèque de Paris (Paris et Singapour), elle ouvre « H Gallery » à Paris en 2016, avec deux associés.

Depuis 2001, elle a monté ou participé à plus de 150 expositions, conseillé des institutions et des collectionneurs tant particuliers que publics. Elle a travaillé avec plus de 400 artistes vivants, musiciens, danseurs et commissaires d’expositions internationales. Elle a collaboré avec des centaines de musées, aux États-Unis, au Canada, en Europe, en Inde ou en Afrique. « H Gallery » fait partie de Paris Gallery Map depuis 2019 et du Comité Professionnel des Galeries d’Art depuis 2017.

 

 

 

Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a amenée à fonder H Gallery ?

C’est une histoire étonnante, faite de rencontres extraordinaires. Depuis mes 15 ans, je rêve d’organiser des expositions et de découvrir des talents. Je viens d’un milieu artistique avec une mère Professeure de Lettres et surtout un père acteur, écrivain et metteur en scène. Ma sœur et moi avons su très tôt, bien avant #metoo, que le monde du cinéma n’était pas recommandable pour les filles, et nous ne nous sommes pas engagées dans cette voie. Ma sœur était une vraie artiste, moi j’avais juste la volonté de les comprendre et de les faire émerger.

Pour cela, je pensais qu’il fallait être conservatrice de musée, mais je voulais tester si cette profession était réellement faite pour moi. À cet âge rien ne nous arrête, on imagine que tout est possible. J’ai téléphoné avec audace au Petit Palais pour avoir un entretien avec son directeur, Gilles Chazal. Le plus incroyable c’est qu’il a accepté. Il m’a ouvert les yeux avec justesse et honnêteté pendant deux heures sur le métier, les recherches de financement et le côté politique. Il m’a guidée vers des études à l’École du Louvre. À la fin de l’entretien, il m’a demandé ce que j’en pensais. Je lui ai répondu que c’était exactement le métier que je voulais exercer. Il m’a dit : « Alors peut-être qu’un jour vous me succéderez ?! » et avec la fougue de la jeunesse, je lui ai rétorqué : « Non, moi je veux le Grand Palais ! ». Il a éclaté de rire. Nous sommes restés en contact depuis 25 ans. Il a toujours suivi mon parcours, a été le premier visiteur de ma galerie avec son épouse, et aussi mon premier acheteur !

10 ans plus tard, je faisais ma thèse sur Alain Kirili, un sculpteur franco-américain sous la direction de Serge Lemoine, directeur, successivement, du Musée de Grenoble et du Musée d’Orsay. Grâce à lui j’ai pu participer à des expositions importantes et écrire très jeune dans des catalogues : « Soulages », « L’Art Concret », « Les Abstractions américaines ». J’ai aussi eu la chance de rencontrer à l’époque le galeriste Éric Dupont dont l’éthique fut un modèle pour moi. J’ai aidé Alain Kirili pour son projet de sculpture contemporaine aux Tuileries, mais aussi participé aux montages de ses expositions.

En 2001, Alain décida de collaborer avec des danseurs et des musiciens américains, mais aussi africains : une troupe de danseurs contemporains de la tribu des Dogons. Je m’implique au point qu’il me propose d’aller à Bamako pour organiser des spectacles et des expositions avec lui. J’ai eu l’immense privilège de côtoyer le peuple des Dogons au quotidien et de vivre dans leur village sur les Falaises de Bandiagara. J’avais établi une telle proximité qu’à la fin de mon séjour le Conseil des Sages s’était réuni et m’avait attribué une place dans leur tribu. Ils m’ont fait un grand honneur en me donnant le nom de Ya-Kena, « celle qui sait voir et celle qui sait mettre la joie et l’harmonie autour d’elle ».

Lors de ce périple, sur une pirogue à côté de moi, il y avait un milliardaire américain qui était invité au voyage. Un homme brillant qui avait notamment créé une fondation, « ART OMI », pour soutenir des artistes, des écrivains et des architectes. Il organisait des résidences d’artistes au nord de New York et me proposa, pendant un été, de m’engager comme directrice adjointe.

J’ai vécu une expérience extraordinaire : j’arrivais à 24 ans aux États-Unis dans un univers complètement différent. Je suis d’origine scandinave et dans le microcosme parisien ma chevelure blond platine et mon côté « bimbo » me desservaient : trop jeune, trop jolie. Aux États-Unis, rien de tout cela, ils voyaient au-delà des apparences et saisissaient seulement mon potentiel. Dans cette fondation, notre rôle était de mettre en relation les artistes en résidence avec les journalistes, les critiques d’art, les galeristes. Cette expérience m’a permis de m’immerger dans le monde de l’art new-yorkais. Comme toute aventure d’été a une fin, je retournais en France pour toucher du doigt mon but, le concours de conservateur de musée !

Nous étions 1200 étudiants à nous présenter et uniquement 49 admissibles, dont j’ai fait partie. Mais au bout du compte, seulement 3 postes avaient été ouverts et je n’avais pas été choisie. Ce but m’avait porté toute mon adolescence et, soudainement, tout s’écroulait.

Rentrée chez-moi, en larmes, je reçus un appel de Francis Greenburger, le milliardaire américain qui venait aux nouvelles. Je lui expliquais ma déconvenue, il me répondit « Escape the system! ». C’est la dernière parole dont je me souviens avant de me retrouver aux USA. Je savais, bien sûr, que son rôle s’arrêterait là et que je devrais me débrouiller toute seule, mais son impulsion fut primordiale.

Mes parents n’étaient pas fortunés, mais ils m’ont fait confiance et m’ont laissée partir avec mon visa de touriste et mes valises remplies de soupes lyophilisées à la recherche d’un job. J’étais stagiaire dans la journée pour des projets formidables, comme, par exemple « The Revival of the Hudson River Valley through Art ». J’ai participé à la réalisation de « Robert Smithson’s Floating Island » autour de Manhattan avec Diane Shamash et son organisme, Minetta Brook. J’ai travaillé également à Art in General avec Holly Block.

Le soir, j’écumais les vernissages pour rencontrer des gens, des amis et me créer un réseau… J’en faisais 40 par semaine en distribuant des cartes de visite bleu turquoise (mes goûts se sont affinés depuis !), imprimées sur Vistaprint. J’espérais travailler dans les musées, mais les salaires pratiqués de m’auraient pas permis de vivre à New York.

J’ai atterri dans le monde des galeries après avoir rencontré Michael Steinberg à l’Armory Show. Il prit ma carte en me disant « je vais t’aider ». Venant de France, je n’arrivais pas à y croire, mais il m’avait regardé droit dans les yeux, comme s’il devinait ce que je pouvais devenir.

Il m’invita 15 jours plus tard chez lui, à une fête où je découvris le gotha de l’art avec un grand A, celui que j’ai fréquenté ensuite pendant presque 10 ans. C’est là que j’ai fait la connaissance d’un ancien producteur d’Hollywood, le meilleur ami d’Emma Thompson qui venait d’ouvrir une galerie sublime à Chelsea. Quand il m’a proposé le job de directrice de Spike Gallery, le lendemain, je me suis rendu compte que j’avais passé mon entretien d’embauche lors de la soirée, sans le savoir.

Ma carrière de galeriste était lancée. J’y ai fait mes classes et ai organisé des expositions qui ont rencontré immédiatement du succès auprès de la presse new-yorkaise. Ce fut une période amusante, Steve Martin ou Sean Connery faisaient partie de nos collectionneurs et nous avons montré des œuvres de Shirin Neshat, mais également de Martin Mull ou d’Annie Lennox !

Pendant plus de huit ans à New York, j’ai été à la tête de plusieurs galeries d’art moderne et contemporain. J’ai travaillé pour Spike Gallery, Peter Freeman, Inc. qui était spécialisé à l’époque dans l’Art minimal et le Pop Art. Nous participions notamment à Art Basel et vendions fréquemment des œuvres aux grands musées américains. Puis j’ai rejoint Parker’s Box à partir de 2005. J’ai parallèlement contribué régulièrement à « Whitewall Magazine » que des amis venaient juste de créer et pour lequel j’ai pu interviewer Paloma Picasso, Joachim Pissarro, Fabrice Hergott ou François Pinault.

 

J’ai été également commissaire d’exposition indépendante. Mes activités ont été commentées tant par le « New York Times » que par « Art in America » ou « New York Magazine ». J’ai représenté des artistes aussi variés que Joyce Pensato, Édith Dekyndt, Bruno Peinado, Virginie Barré, Simon Faithfull, Mel Bochner, Alex Hay ou Helen Mirra. J’ai vendu des œuvres d’Édith Dekyndt au MoMA à New York et à l’Albright Knox Gallery. Cette dernière fut présentée en 2017 à la Biennale de Venise. J’ai également longtemps représenté Joyce Pensato qui fut ensuite reprise par Friedrich Petzel à New York et la Lisson Gallery à Londres.

 

C’est chez Parker’s Box, créée par l’artiste et curator Alun Williams à Brooklyn, que j’ai vraiment pu défendre avec plus d’ampleur des artistes contemporains internationaux. J’ai pu le réaliser à travers des foires internationales et notamment deux participations à la FIAC où nous avions vendu des œuvres à LVMH ou au fondateur de Zadig et Voltaire. C’est dans cette galerie que j’ai découvert le goût d’avoir mon propre endroit.

Lorsque notre « silent partner » nous avait lâchés, nous avions décidé de tenter l’aventure sans financement extérieur et nous avions réussi !

 

Cette confiance accumulée m’a finalement donné l’envie de fonder ma galerie des années plus tard.

 

Finalement tu rentres en France ?

 

En 2009, mon père mourut et je rentrai en France définitivement en 2010. Quand on est dans un moment de faiblesse, on peut tomber sur des prédateurs et c’est ainsi que, sans le savoir, je décide d’en épouser un…

 

En France je redécouvre un milieu de l’art beaucoup moins ouvert et généreux qu’à New York, où il est très difficile de se faire une place. De guerre lasse je lance un jour à mon meilleur ami : « Trouve-moi un job ! ». Lui qui n’était pas du tout de ce monde se rappelle soudain qu’il était l’expert-comptable de l’architecte de la Pinacothèque de Paris !

 

Il me met en contact avec Marc Restellini, historien d’art et businessman qui cherchait justement une nouvelle directrice des expositions. La Pinacothèque c’était 5000 m2 à Paris et la même chose à Singapour. J’ai été chargée des expositions dans ces lieux merveilleux pendant 6 ans. J’ai obtenu des prêts de la part des plus grands musées internationaux : le MoMA à New York, l’Ermitage à Saint-Pétersbourg, les Beaux-Arts de Budapest, le Musée Archéologique de Mexico… J’y ai organisé avec Marc Restellini 36 événements d’envergure. Tant sur l’art ancien (Les Romanov et les Esterhazy, Van Gogh, Hiroshige, Léonard de Vinci), que sur de l’archéologie (les Masques de Jade Mayas, l’art indien).

 

J’ai orchestré la dernière rétrospective de Chu Teh-Chun. Je l’ai rencontré ainsi que sa famille et ai visité son fabuleux atelier à Vitry-sur-Seine. L’exposition fut un tel succès que nous l’avons prolongée et je lui ai rendu ses œuvres la veille de sa mort. C’était très émouvant. J’y ai organisé également des expositions sur l’art moderne et contemporain : « Expressionnismus : Brücke vs. der Blaue Reiter », « Giacometti et les Étrusques », et sur le Graffiti Art : « Pressionnisme ». Pendant l’exposition sur Van Gogh, nous avions atteint le milliard en valeur d’assurance. J’étais entourée de sécurité privée, de policiers armés jusqu’aux dents pour protéger des semi-remorques qui contenaient seulement cinq œuvres chacun, une expérience mémorable !

 

En parallèle de tous ces succès, j’ai vécu cinq ans d’enfer personnel. Croyant épouser le Prince charmant, je m’étais mariée à un homme violent en privé, au point que j’ai fait trois fausses couches à 4 mois de grossesse. Le jour où j’ai perdu mon troisième bébé, il m’a frappé devant ma mère et l’a attaquée aussi. J’ai compris qu’il n’y avait plus de limites et que ma vie était en danger. Je l’ai quitté définitivement. C’est autant ma famille, mes amis à qui j’osais enfin dire la vérité que mon métier, qui m’ont permis de me reconstruire. À cette époque, porter plainte ne servait à rien : la police me renvoyait à chaque fois chez moi en prétextant que j’allais détruire la réputation de mon mari. Heureusement, de nos jours les choses semblent évoluer dans le bon sens et la parole des femmes est peut-être mieux entendue.

 

Comment as-tu pu tenir si longtemps ?

 

D’un côté, je réalisais mon rêve en organisant des expositions de la taille du Grand Palais et rentrée chez moi je survivais au monstrueux, jour après jour. Il m’a fallu deux ans pour obtenir le divorce. À présent, la page est tournée et j’ai rencontré un homme adorable avec qui j’ai eu des jumeaux, un garçon et une fille, grâce à un don d’ovocytes et à la formidable clinique Eugin de Barcelone.

 

La Pinacothèque était un lieu privé, nous avions, 1,2 million de visiteurs par an. À chaque événement, nous étions sur le fil du rasoir. Les assurances étaient exorbitantes et nous avions 70 employés. Chaque exposition nous mettait pratiquement sur la paille, mais l’affluence nous renflouait à chaque fois : nous avions en moyenne 500 personnes par jour et même jusqu’à 4000 par jour pour Klimt. Puis survinrent les attaques terroristes du Bataclan, qui vidèrent Paris. La fréquentation avait chuté à 50 personnes par jour. En février, croulant sous les dettes, mon patron décida de fermer les Pinacothèques de Paris et de Singapour.

 

J’ai dû, de nouveau, me réinventer. À l’époque je gravitais dans deux cercles. L’un issu de grandes familles aisées, d’une moyenne d’âge de 70 ans et l’autre, composé de jeunes de 25-30 ans, entrepreneurs à succès, qui ne cessaient de créer de nouvelles entreprises. Je venais d’avoir 40 ans et j’avais toujours soif de paris fous et de risques insensés. Je me suis donc associée en 2016 avec Benjamin Hélion et Benjamin Lanot. Ils avaient déjà un espace dans le 11e et moi, malgré six ans d’art ancien, plus que jamais le démon de l’art contemporain.

 

Je vivais une renaissance de Phoenix, ayant échappé à la violence et à la mort. Créer mon lieu m’a donné une liberté incroyable, même si, tous les chefs d’entreprise le savent, on dort beaucoup moins bien la nuit ! Cette aventure dure maintenant depuis cinq ans et demi.

 

 

Quelle vie incroyable, j’en ait des frissons. Parlons maintenant de H Gallery : Quelle est ta ligne artistique ?

Je suis passionnée par la découverte et la mise en valeur de talents qui n’ont jamais, ou rarement, été montrés en France. Au départ, je représentais surtout les artistes que je connaissais le mieux, c’est-à-dire, ceux d’Amérique du Nord et d’Amérique latine, mais après cinq ans en France, ils sont de plus en plus européens.

Chez H Gallery les carrières d’artistes établis y côtoient celles d’artistes émergents. Matt Blackwell a reçu le Guggenheim Fellowship. Noa Charuvi, a obtenu la Pollock Krasner Foundation Grant, Caroline Le Méhauté, le Prix Art Collector 2020 et Bilal Hamdad a été lauréat 2020 de la Fondation Colas et lauréat 2021 du Prix de la Société Générale.

Les artistes de H Gallery utilisent des médiums aussi variés que peintures, dessins, photographies, sculptures, installations, vidéos ou performances. Mais il est vrai que la figuration, que je défends depuis mes années new-yorkaises donc depuis plus de 20 ans, prend de plus en plus de place dans ma programmation à travers la peinture et le dessin.

Nous participons à des foires prestigieuses telles que « Paris Photo », « Art Paris Art Fair », « Photo London », « Urban Art Fair ». À « DDessin », nous avons gagné le Premier Prix du salon en 2017 et 2018. Nos activités ont été commentées par « Le Monde », « Le Journal des Arts » ou par « Le Quotidien de l’Art », « Connaissance des Arts », « Beaux-Arts Magazine » ou « The Washington Post ».

Pourtant, je dois avouer que le métier de galeriste est un business compliqué. C’est le dernier Far West, ce qui nous laisse une grande liberté et en même temps nous fragilise. Il faut apprendre à nager avec les requins sans en devenir un soi-même et sans se faire croquer !

En tant que galerie-défricheuse, quand on parie sur un artiste, il n’y a pas de principe de Mercato comme dans certains sports. Une fois que mon travail de mise en valeur et de reconnaissance portera ses fruits, l’artiste intégrera une galerie plus prestigieuse qui, elle, récoltera les gains financiers. Je garderai une part des lauriers, mais n’aurai pas nécessairement de retour sur investissement.

Malgré tout, je me donne corps et âme pour mes artistes, je prends tous les risques et me lance constamment de nouveaux défis. Je maintiens ma ligne de conduite et mon intégrité parce que je pense que c’est ainsi que l’on construit sur le long terme.

À chaque grande foire, je fragilise ma société en avançant des sommes démesurées. C’est un métier de fous, de passionnés et ma récompense est de faire éclore de futures stars, en espérant croître ensemble.

Mes amis galeristes qui ont ouvert il y a plus de trente ans me racontent qu’avec leurs artistes, ils formaient des familles qui évoluaient main dans la main. Mais le temps n’est plus vraiment à la loyauté ou à la gratitude.

 

Peux-tu nous parler de ton engagement pour les artistes femmes ?

Quand je me lance avec un artiste, je cherche le coup de foudre pour son œuvre. Qu’elle vienne d’une femme ou d’un homme m’importe peu au départ, mais il se trouve que j’ai souvent plus d’affinité avec les réalisations des femmes. Dans les écoles d’art, elles représentent 60 % des promotions alors qu’elles ne sont plus que 10 % dans les galeries. En tant que femme, il est de notre responsabilité d’être un peu militantes, avec subtilité et en tous cas, d’être solidaires. C’est pour cela que je suis résolument engagée dans leur défense et leur mise en lumière. Chez H Gallery nous en avons plus de 60 % dans notre panel d’artistes. J’ai collaboré également avec Clara Feder et Liu Bolin sur des projets autour de la notion de sororité dans le monde de l’art. Dans ce métier, les hommes sont très soudés, nous nous devons de l’être aussi et de nous entraider, mais, en pariant toujours sur la qualité et l’exceptionnel bien sûr, pas sur les quotas. J’aime les hommes et loin d’une guerre des sexes qui inverserait dominant et dominé, je recherche surtout l’harmonie entre les êtres afin que chacun ait une place juste.

 

Quels sont tes futurs challenges ?

Mon premier défi serait d’agrandir ma galerie. Je suis à la recherche d’un partenaire financier qui nous soutiendrait dans le but d’avoir un espace un peu plus conséquent.

L’enjeu permanent est de continuer de grandir : entre les gilets jaunes, les confinements, les quartiers désertés à cause du télétravail et la guerre, la tâche est plutôt ardue. Je désire garder cette liberté merveilleuse de pouvoir faire vivre la galerie et mes artistes.

Les signaux sont là, nous sommes sur la bonne voie : nous participons à de magnifiques foires, nous gagnons des prix, la presse écrit de beaux articles, les cotes de mes artistes montent. Je débute des collaborations avec des musées, les artistes que je représente commencent à être achetés par des institutions et certaines grandes galeries puisent dans mes artistes pour augmenter leur panel. Le défi est d’avoir une visibilité et des réseaux suffisamment importants pour que les artistes émergents qui deviennent, auprès de nous des artistes établis, aient envie de continuer leur carrière avec H Gallery.

 

Quelles sont les personnes qui t’ont inspirée dans ta carrière ?

J’en ai cité beaucoup déjà, mais je rajouterais Laurent Le Bon, désormais Président du Centre Pompidou avec qui je suis amie depuis les années 90 ; Eric Dupont dont la dévotion à ses artistes a été un modèle pour moi ; Guillaume Piens et la famille Lecêtre qui, respectivement, dirigent et possèdent « Art Paris » ; Eve de Medeiros, fondatrice du salon « DDessin » ; Guy Boyer, rédacteur en chef de « Connaissance des Arts » ; Philippe Dagen, le grand critique d’art du « Monde », tous ces gens qui croient en moi, m’encouragent, me soutiennent et m’inspirent en retour, parfois depuis des années. Je ne tarirai pas d’éloges sur ma famille, mais j’ai aussi la chance d’avoir des artistes et des collectionneurs (François, Philippe…) qui me donnent le sentiment de faire partie de ma tribu.

 

Aurais-tu un livre à nous conseiller ?

Je pense à l’œuvre de Stefan Zweig, « Le Joueur d’échecs », « Lettre à une inconnue » ou à Rainer Maria Rilke « Lettres à un jeune poète ». Ce sont des auteurs que j’ai dévorés depuis mon adolescence et dont les visions du monde m’ont beaucoup marquée.

Je citerais également l’œuvre de Julio Cortázar et le réalisme magique latino-américain. Balzac et Proust font partie des grands qui m’habitent et m’aident à écrire sur l’art. Mon artiste, Maryline Terrier est l’une des rares que je connaisse qui, comme moi, a lu « La Recherche du temps perdu » en entier. C’est précieux de pouvoir échanger avec quelqu’un d’aussi cultivé qu’elle. Nos conversations passionnées ont une place particulière dans ma vie.

 

Quelle est ta devise ou ton mantra ?

Quand on est autoentrepreneur, on doit se donner de la force au quotidien, c’est pour cela que j’ai plusieurs mantras. Il faut beaucoup de foi et un peu d’autodérision. J’ai tout d’abord « soyons réalistes désirons l’impossible », un slogan de mai 68. J’aime également citer de façon un peu provocatrice, cette phrase de Mao : « D’échec en échec jusqu’à la victoire finale ».

Un autre m’a beaucoup aidé dans les périodes plus difficiles de ma vie : « When you are going through hell, keep going » (Churchill).

Le dernier c’est « Il ne faut pas attendre que l’orage passe, il faut apprendre à danser sous la pluie ».

Ce que je voudrais transmettre à mes enfants, c’est l’amour de l’art et de la beauté. Je pense que c’est une façon de rendre le monde meilleur, petit à petit, mais également, que l’on doit aimer le chemin. « Il faut suivre sa pente, pourvu que ce soit en montant » (André Gide).

 

Il n’y a pas de but ultime. Chaque jour, chaque moment, bon ou mauvais, heureux ou douloureux, les succès et aussi les obstacles doivent être pris à pleine main et embrassés. On peut apprendre, grandir et tirer des enseignements primordiaux de tout ce qui nous arrive pour aller toujours plus haut. Il n’y a pas de chef-d’œuvre final, il n’y a que des événements qui constituent notre chemin. Chaque instant est précieux et devrait être aimé comme le dernier ou une autre possibilité d’être meilleur ou différent, de se dépasser et de s’améliorer. Ce qui est difficile vaut la peine : il faut autant apprendre à danser sous le soleil que sous la pluie…

 

Merci Hélianthe pour ce moment d’émotion, tout en sensibilité, dans ton univers....