[Biotech] Cancer
Interview de Aïda Meghraoui-Kheddar, Fondatrice & CEO d’AMKbiotech.
By Pascale Caron
Docteure en pharmacie, Aïda a parfait sa formation avec un master et un PhD en immunologie qu’elle a obtenu en 2015. Après dix années dans le monde de la recherche académique en France et aux états unis, elle crée AMKbiotech à Sophia-Antipolis, fin 2021, avec pour objectif d’accélérer la recherche médicale et le développement de nouveaux traitements.
Peux-tu nous parler de ton parcours et de ce qui t’a amenée à faire de la recherche ?
Pendant mes études de pharmacie, j’ai très rapidement su que je voulais faire de la recherche dans le domaine des sciences biologiques. J’étais captivée par les interactions hôte-pathogène, où comment un parfait équilibre peut se transformer en lutte destructrice. J’ai décidé ensuite de faire un master en sciences. Au début j’étais plus intriguée par l’agresseur, que par l’agressé. Les micro-organismes qui nous entourent et avec qui on coexiste, sont des entités fascinantes dotées d’une capacité d’adaptation et de survie inouïe et inspirante. J’ai poursuivi mon parcours avec un doctorat : je me suis orientée vers l’étude de la réponse immunitaire, ou comment notre corps œuvre sans relâche pour maintenir son équilibre interne face à l’environnement qui l’entoure.
Constantine, Rouen, Paris, Reims, toutes ces facs ont satisfait ma soif d’apprendre. Après ma thèse, j’ai entrepris plusieurs stages postdoctoraux en tant que chercheure. À Paris, à l’Institut Pasteur et l’Inserm (NDLR. Institut national de la santé et de la recherche médicale), je me suis prise de passion pour les technologies innovantes qui nous permettent de repousser les limites de la science. La bio-informatique, m’a fascinée pour l’analyse des données que cette technologie produit. J’ai alors mis en place une collaboration avec un laboratoire de l’université Vanderbilt à Nashville aux états unis, expert en analyse de données dites de haute dimension. Grâce à cette expérience, j’ai acquis des compétences qui sont à la base de mon aventure actuelle.
J’avais donc entamé cette carrière de chercheure dont j’ai rêvé, que j’ai poursuivi au CNRS (NDLR. Centre National de Recherche Scientifique) à Sophia-Antipolis, ou j’ai participé à des études cliniques de lutte contre le cancer. En France, le cancer représente la première cause de mortalité chez l’homme et le 2e pour la femme. Dans le monde sur dix personnes, deux vont développer un cancer au cours de leur vie et une des deux n’y survivra pas. Des traitements existent, mais ils ne sont pas assez efficaces. La recherche avance, mais pas assez vite. Face à ce constat, je me suis rendu compte qu’en tant que chercheure j’avais besoin de faire plus et pour cela il fallait que je fasse différemment. La recherche doit servir notre quotidien, elle doit l’améliorer, elle doit sauver des vies. La voie sur laquelle je me trouvais ne me permettait plus de garder cet objectif en ligne de mire. J’ai décidé de créer ma voie : je ne voulais plus subir les contraintes et m’imposer des barrières, je voulais faire autrement. Je souhaitais valoriser mon expertise accumulée en 10 ans et en faire profiter 10, 100, 1000 projets. Mais pour cela, je devais créer mon propre laboratoire, lever des fonds, car cela nécessite énormément d’argent : les machines, le matériel, les réactifs, tout coute cher.
Comment as-tu décidé de créer ton entreprise ?
L’aventure s’est concrétisée lorsque j’ai rencontré Caroline Dumond et « Les Premières Sud » en mai 2021. J’ai appris à construire mon projet, à le positionner par rapport à la concurrence et à faire un business plan, pour trouver les financements. J’ai eu la chance de croiser des gens qui m’ont aidée, et rares sont ceux qui m’ont dit « tu ne réussiras pas ». J’ai sollicité les banques et j’ai pu obtenir un prêt.
Mon projet est basé sur la prestation de service. AMKbiotech est un laboratoire fournissant un service unique d’imagerie, hyperparamétrique clef en main aux différents acteurs de la recherche biomédicale pour accélérer le développement de leurs projets.
Nos clients sont des laboratoires de recherche publics ou privés, des biotechs, des CROs (NDLR. Société de Recherche contractuelle en français), qui bénéficient de l’accès à une technologie innovante sans la contrainte financière de son acquisition ni la perte de temps de sa mise en place. Nous leur proposons un service personnalisé adapté à leur besoin. Nous leur permettons d’optimiser l’analyse des échantillons rares et précieux en mesurant plus de 40 paramètres simultanément et en un temps record. Nous utilisons des outils informatiques pour exploiter de façon exhaustive les données mesurées et coller au mieux à leur demande. C’est du sur mesure.
Nous sommes installés au Bioparc de Sophia-Antipolis. Je suis entourée d’une docteure en immuno-oncologie et d’une technicienne en biologie. Nous avons une collaboration avec des biologistes et des mathématiciens de l’INRIA pour développer à terme nos propres outils d’analyse.
Dans cette aventure je suis multicasquettes : à la fois l’experte, l’entrepreneure, la gestionnaire, la scientifique, mais aussi la commerciale ! J’utilise mon réseau pour nous faire connaitre. Plusieurs personnes nous ont contactés grâce à mes publications. J’interviens régulièrement dans les congrès et séminaires pour expliquer que l’on peut faire différemment et même mieux.
Quels sont tes futurs challenges ?
C’est bien sûr de rendre AMKbiotech visible à plus grande échelle et notamment auprès de l’industrie pharmaceutique. Présenter le potentiel des technologies innovantes que nous utilisons dans les essais cliniques. Montrer qu’un service innovant et performant n’est pas forcément plus onéreux. Je prospecte déjà en dehors des frontières, en Allemagne et aux États unis. À plus long terme, mon objectif est de croître en technologies et en champ d’action. Notre ambition est de devenir un CRO afin d’effectuer des études cliniques à plus grande échelle.
Quelles sont les personnes qui t’ont inspiré dans ta carrière ?
Quand, j’étais jeune, mes parents m’ont montré l’exemple. Ma mère, maitresse de conférences à l’université, m’a transmis l’amour de la recherche, la curiosité, la volonté d’aller plus loin et de ne jamais s’avouer vaincue. Du côté paternel, j’ai puisé la détermination de l’entrepreneur, la passion et l’investissement dans chaque projet, la capacité à résoudre les problèmes, la force de rebondir en toutes circonstances. Il a un bureau d’étude en architecture et j’ai grandi entre les tables à dessin et les rendus de projets !
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Très jeune, j’ai lu « L’Alchimiste » de Paulo Coelho. La rencontre de ce personnage dans le désert, nous enseigne l’écoute de son cœur, à traduire les signes du destin et, à aller au bout de ses rêves. Je m’y suis replongée à plusieurs années d’intervalle et j’invite chacun à faire de même. Il nous apporte une philosophie de vie et une acceptation des événements bons ou mauvais qui aide à avancer.
Quel est ta devise ou ton mantra ?
Je dirais, « Ne jamais s’arrêter », et par-dessus tout, « Ne pas laisser les autres nous fixer des limites ». On pourra toujours trouver des ressources en nous pour aller plus loin. Je me souviens d’une phrase que mon directeur de thèse avait prononcée lors de la cérémonie. Elle me résume bien : « Aida, quand on lui ferme la porte, elle entre par la fenêtre. C’est agaçant, mais c’est ce qui fait sa force. N’arrête jamais ».