Focus sur l’aide pour le commerce
en faveur de l’autonomisation économique des femmes
by Marianne Musumeci
Une étude plus approfondie de certains éléments développés dans cet article est disponible dans le Chapitre 9 du Panorama de l’aide pour le commerce 2019[i]
L’établissement d’un objectif d’égalité entre les sexes dans les Objectif de Développement Durable (ODD) en 2015 a montré que les efforts dans ce domaine devaient se poursuivre. Alors que les Objectifs de Développement du Millénaire avaient mis l’accent sur l’éducation, l’ODD n°5 spécifiquement dédié à l’égalité entre les sexes a notamment pour cibles: la valorisation des travaux domestiques non rémunérés par l’apport de services publics, d’infrastructures et de politiques de protection sociale; et l’accès aux ressources économiques, droits de propriété, et contrôle des terres pour les femmes. Dans ce contexte, les pays pourvoyeurs d’aide publique au développement (APD) ont donc une responsabilité dans l’alignement du financement de leurs projets avec l’objectif d’égalité entre les sexes. Pour ce qui est de l’autonomisation économique des femmes, il s’agit d’intégrer une prise en compte du genre dans les secteurs touchant au commerce international et aux activités économique regroupées dans la catégorie de l’aide pour le commerce.
Pour mesurer le montant de l’aide pour le commerce dédiée à l’autonomisation économique des femmes ou intégrant une perspective genre, l’OCDE a développé un marqueur de l’aide en faveur de l’égalité homme-femme. Il se divise en 4 catégories selon la place de l’égalité homme-femme comme objectif : principal (2), important (1), non ciblé (0) ou non marqué (blanc). Un projet d’aide au développement qui est marqué 2 a pour objectif principal l’égalité homme-femme alors qu’un projet marqué 1 a parmi ses objectifs l’égalité homme-femme. Le 0 signifie que l’égalité homme-femme ne fait pas partie des objectifs mais qu’une analyse genre a été menée pour faire en sorte que ce projet n’impacte pas négativement les femmes au contraire d’un projet non marqué. Dans cette analyse, un projet marqué 1 ou 2 sera considéré comme intégrant une perspective genre ou en faveur de l’autonomisation économique des femmes.
Comment l’aide pour le commerce peut-elle bénéficier aux femmes?
La Banque Mondiale[ii] estime qu’en 2017, entre 30% et 37% des petites et moyennes entreprises étaient détenues par des femmes dans les pays en développement. Cependant, elles font souvent face à des contraintes plus importantes que les hommes, comme la surreprésentation dans le secteur informel et le manque d’accès aux technologies et aux moyens financiers. L’aide pour le commerce peut donc bénéficier aux femmes en les aidant à dépasser ces difficultés, par exemple, via des formations, l’octroi de crédits ou en leur donnant directement accès à l’emploi. Le développement des infrastructures de transport et énergie peut également alléger le poids des travaux domestiques non rémunérés, souvent confiés aux femmes, mais aussi les aider dans le lancement d’activités génératrices de revenus. D’ailleurs, plusieurs projets témoignent de l’impact de l’aide pour le commerce sur l’autonomisation économique des femmes.
Par exemple, un projet mis en oeuvre par Trade Mark East Africa, une organisation financée, entre autres, par les Pays-Bas et le Canada a permis de limiter les contraintes auxquelles les femmes d’Afrique de l’Est font face dans le développement de leur activité économique et le commerce transfrontalier, comme le manque d’information sur les procédures douanières et le harcèlement sexuel. Ce projet a permis d’entraîner un groupe de douaniers à 12 postes frontières sur la sensibilisation au genre. D’autres activités ont mené à une simplification des processus administratifs dans les douanes et la diffusion d’information à ce sujet, l’adoption d’une charte intégrant une perspective genre dans le commerce transfrontalier et le développement d’un mécanisme de rapport sur les violences commises aux postes frontières. Un autre projet est celui de la Société Belge d’Investissement pour les Pays en Développement (BIO) qui a octroyé un crédit à la Société Ivoirienne de Traitement de l’Anacarde (SITA) en Côte d’Ivoire. Cette entreprise dirigée par une femme, Massogbè Touré Diabaté, emploie majoritairement des femmes dans la manufacture de l’anacardier. Aujourd’hui, la SITA est le leader dans l’industrie de l’anacarde en Côte d’Ivoire, et le deuxième plus grand exportateur de ce produit après l’Inde.
Une intégration de la perspective genre encore trop insuffisante
L’exposé précédent ne doit pourtant pas faire oublier que ces projets ne représentent qu’une faible part dans l’aide pour le commerce totale distribuée. En moyenne pour la période 2016-2017, seulement 24% (soit 12 milliards de dollars) du total de l’aide pour le commerce intégrait une perspective genre. En d’autres termes, 76% de l’aide pour le commerce distribuée sur cette période ne prenait pas en compte l’objectif d’autonomisation économique des femmes. Cependant sur le long-terme, la part d’aide pour le commerce intégrant une perspective genre est en augmentation puisqu’elle est passée de 9% (soit 3 milliards de dollars) en 2006-2007 à 24% pour 2016-2017.
Toutefois, lorsque les secteurs d’activité sont pris en compte, l’intégration d’un objectif d’autonomisation économique des femmes diffère sensiblement. Par exemple, pour la période 2016-2017, plus de 45% (soit 5,5 milliards de dollars) de l’aide pour le commerce distribuée dans le secteur de l’agriculture intégrait une perspective genre. Au contraire, pour les secteurs de l’énergie et des communications seulement 14% de l’aide pour le commerce avait un objectif d’autonomisation économique des femmes. Entre les deux, les secteurs des politiques commerciales, du transport, de l’industrie et de la finance/business se tiennent entre 25 et 17%.
À ce jour, aucune recherche ne permet d’établir l’origine de ces différences dans la distribution de l’aide pour le commerce intégrant une perspective genre par secteurs, mais plusieurs hypothèses peuvent être émises.
Une première hypothèse tient à la représentation des sexes dans certains secteurs: peut-être les femmes représentent-elles une part plus importante des travailleurs dans le secteur agricole, par comparaison aux secteurs de l’énergie ou des transports?
L’autre hypothèse tient aux types de projets et à la possibilité d’intégrer une perspective genre dans ceux-ci. Par exemple, les programmes de micro-finance et de formation professionnelle, fortement représentés dans les secteurs agricoles, industriel ou de la finance/business, la participation d’un nombre important de femmes suffit à donner une perspective genrée à cette intervention. Par contre, les projets de construction, lorsqu’ils sont finalisés bénéficient aussi bien aux femmes qu’aux hommes.
N’est-il alors pas plus compliqué d’établir un objectif d’autonomisation économique des femmes dans ces projets? Face à cette interrogation, certaines initiatives mettent en place des quotas pour intégrer des femmes parmi les ouvriers participant aux chantiers de construction.
Dans d’autres cas, les femmes sont encouragées à participer aux processus de décision dans la préparation des projets d’infrastructure. Cependant, ces projets ne semblent pas représenter une majorité au vu de la faible part d’aide pour le commerce intégrant le genre dans les secteurs de l’infrastructure.
Ainsi, il reste encore une marge de progression importante dans la prise en compte de la perspective genre dans l’aide pour le commerce par les bailleurs de fonds.
[i] Musumeci, M. , K. Miyamoto, (2019). Emerging Lessons from Aid for Trade in Support of Women’s Economic Empowerment, in Aid for Trade at a Glance 2019, OECD-WTO, https://www.oecd.org/dac/aft/aid-for-trade-at-a-glance-22234411.htm
[ii] Kumar, R., (2017). Targeted SME financing and employment effects : what do we know and what can we do differently? (English). Jobs working paper; issue no. 3. Washington, D.C. : World Bank Group. http://documents.worldbank.org/curated/en/577091496733563036/Targeted-SME-financing-and-employment-effects-what-do-we-know-and-what-can-we-do-differently