Vivre le confinement ou comment optimiser la sortie de notre «zone de confort»
Par Elisabeth POKOJ
Tableau d’Edward Hopper (1882. 1967)
Que représente la zone de confort ?
Au cours de notre vie, nous avons appris une multitude de choses mais peut-être pas suffisamment à avoir confiance en nous, à croire en nous, et savoir exactement ce que l’on veut.
Nous savons aujourd’hui ce qui nous a plu et déplu dans le passé, des incertitudes demeurent en ce qui concerne notre futur.
Rêver notre futur a pu nous être suggéré comme stérile. C’est dommage, car en réalité, le seul moyen d’atteindre nos buts est d’en rêver, nous sommes seuls maîtres de notre avenir et tout dépend de ce que nous croyons.
Pour parvenir à cet objectif, il nous faut prendre conscience de certains concepts de base, les comprendre et les mettre en application. Parmi ces concepts se trouve notre zone de confort. Celle-ci n’est pas forcément « confortable». C’est une zone dans laquelle nous sommes, lorsque nous évoluons dans un environnement que l’on maîtrise, agréable ou non.
C’est notre quotidien, des situations que nous connaissons, nous maîtrisons, comme par exemple les bouchons pour se rentre au travail le matin, les difficultés avec notre patron, nos moments conviviaux. Dans notre zone de confort, il y a également nos habitudes, certaines de nos pensées, émotions, comportements, connaissances.
C’est un état psychologique où nos incertitudes, notre vulnérabilité sont réduites.
Lorsqu’on envisage un changement dans notre vie, personnel ou professionnel, la compréhension de cette zone, la mise à jour d’éléments dysfonctionnels, va nous permettre d’envisager nos objectifs de manière optimale.
Mais changer est difficile, car cela signifie abandonner des pans de cette zone, pour aller vers une nouvelle zone d’apprentissage, inconnue, qui, pour certains sera envisagée comme une zone de panique. Nous nous trouvons alors tiraillé entre une tension émotionnelle qui nous incite à rester dans notre zone de confort (par peur de perdre ce que l’on a, ce que l’on est, bien plus que par peur de l’inconnu) et une tension créatrice qui nous pousse à avancer.
Le confinement
La pandémie de COVID 19, situation inédite, mondiale, expérience commune, se décline suivant des modalités brutales. Parmi elles, nous pouvons évoquer les manifestations présentes dans nos relations affectives, qui se voient bannies et stigmatisées. Mais aussi, parfois, pour des motifs de sécurité sanitaire, la séparation d’avec des êtres chers est préconisée.
Ainsi, aujourd’hui, la prise de conscience de notre fragilité d’être humain, le doute et les peurs viennent faire vaciller notre rationalité.
Le confinement s’est vu être choisi par nombre de pays en lieu et place d’un procédé indispensable pour faire face à cette épidémie.
Chacun s’est approprié cette nouvelle réalité à travers le prisme de sa propre réalité personnelle. Confiné seul ou en famille, nous vivons dans une temporalité réinventée où, notre ligne de vie s’axe sur un présent figé, un « arrêt sur image » de notre existence.
Combinés aux autres modalités brutales évoquées ci-dessus, ce confinement se transforme pour certains(es) en terreau générateur de difficultés et/ou troubles anxieux et d’autres souffrances psychologiques inédites, ou bien d’amplifications et de consolidation de symptômes pré existants. Dans ce contexte inédit, il est indispensable d’interroger ces souffrances, de les écouter, de les évaluer, d’identifier les stratégies utilisées pour y faire face, et de trouver des stratégies plus efficaces le cas échéant.
Confinement et zone de confort
Comme nous l’avons présenté plutôt, la mise en perspective de notre zone de confort, l’abandon de certains de ses principes, est une démarche personnelle volontaire, répondant à des objectifs de progression, d’évolution vers un futur souhaité.
Notre propos ici, est de considérer que le confinement, pour chacun, nous a imposé une sortie brutale et commandée de notre zone de confort.
Le confinement est venu nous faire basculer dans un univers exempt de tout repères connus et maîtrisés. A bien des égards il nous a « confisqué » notre zone de confort.
Lorsque je demande à mes patientes, à présent, quelques éléments à propos de leur vécu de ce confinement, les notions de peurs, d’anxiété, de stress, de privation de liberté anxiogène, font bien sûr partie des témoignages. Cependant, se dégagent également des notions telles que « prendre le temps, réfléchir à la suite, recentrée sur l’essentiel, remise en question, replacer les priorités, profiter des enfants, bulle de protection, recherches des besoins véritables, ré organiser l’avenir, prendre le temps de faire les choses etc…».
Nous remarquons que les aspects négatifs et anxiogènes de la situation de confinement ne constituent pas l’ensemble du vécu de ces patientes. La construction d’objectifs, la prise en compte du moment présent, l’appréciation de ce dernier, sont présentes dans ces témoignages.
C’est ce que nous appelons, en thérapie comportementale et cognitive (TCC) le désespoir créatif. C’est cette étape où nous « acceptons » notre souffrance car nous n’avons aucun contrôle sur elle, que lutter est vain et contre-productif.
A ce moment-là, nous sommes plus libres pour amorcer la recherche de ce qui est important pour nous, ce que l’on nomme les valeurs de notre vie. Pour atteindre nos objectifs, nous envisageons (de manière choisie) de quitter ou tout du moins d’élargir notre zone de confort. Nous nous prenons à rêver notre futur, maintenant, au présent, laissant notre passé à la place qui est la sienne.
Habituellement, cette dynamique prend du temps, notamment pour mettre au travail l’importance de la tension émotionnelle et de la tension créatrice dans notre projet.
Le confinement, ce chemin qui nous a été imposé par des nécessités extérieures, par sa radicalité, pourrait donc se présenter comme une opportunité d’acquérir la flexibilité psychologique nécessaire, pour nous inscrire dans la maîtrise et l’action de notre existence.
Optimiser notre sortie de zone de confort
Comment, aujourd’hui, de manière simple, commencer à interroger ce qui est important pour nous pour se projeter dans un futur souhaité.
Il peut être intéressant par exemple de répondre à cette question : s’il n’y avait aucunes limites à nos possibilités, que voudrions nous obtenir, faire, être de différent ? Qu’est-ce que cela nous apporterait ?
Nous pouvons aussi, visiter chaque domaine de notre vie (moi-même, famille, santé, travail, amis etc) et se poser ces questions simples : Qu’est-ce que j’aime, qu’est-ce que je n’aime pas, qu’est-ce que je voudrai changer, que suis-je prêt(e) à changer ?
A partir de là, va s’ouvrir un champ de possibles pour mettre à jour nos valeurs, et par suite, créer, trouver des actions engagées vers ces valeurs.
Ainsi,
• Agir pour notre existence dans un futur collectif : convoquer dans notre vie les notions de solidarité, de partage, d’écologie etc
• Agir pour notre existence de manière individuelle : décider de maintenir la suprématie de nos valeurs dans notre quotidien, envisager de supporter toniquement l’incertitude, prendre en compte nos souffrances de l’âme et projeter de les soulager, envisager une reconversion professionnelle, etc
A la genèse de ce nouveau monde qui nous attend, à chacun, chacune, de pallier la non-exhaustivité de ces décisions et actions.
La Turbie le 1mai 2020