STARTUP GREENTECH

by Pascale Caron

Entretien avec Alice Chougnet, co-fondatrice, et CEO de Geosophy, une startup dans la greentech.

Alice possède un diplôme d’ingénieur ESPCI Paris et un PhD en Physique. Après 12 ans dans l’industrie pétrolière, chez Schlumberger, en tant qu’ingénieur R&D et Chef de projet, elle crée en 2018 avec Quentin Barral une startup, dans un domaine durable, celui de la géo-énergie.

La géo-énergie, consiste à aller puiser dans le sol, quelques mètres sous terre, la fraîcheur en été et la chaleur en hiver. C’est une énergie locale et décarbonée, neutre pour le paysage.

Geosophy responsabilise les propriétaires d’immeubles en les aidant à définir la meilleure stratégie de valorisation de leurs ressources souterraines. Ils ont développé le premier moteur de recherche du sous-sol : pour une adresse donnée, leurs outils logiciels brevetés permettent de connaître le potentiel géo-énergétique, à la fois technique et financier, et proposer des diagnostics. Ils accompagnent ensuite leurs clients, en tant qu’Assistance Maitrise d’Ouvrage, jusqu’à l’installation.

 

Qu’est-ce qui t’a amenée à te lancer dans l‘entrepreneuriat ?

Tout au début de ma carrière chez Schlumberger, j’ai commencé par chausser des bottes et un casque et je suis allée sur le terrain travailler à la construction de puits. C’était un parcours intéressant pour un ingénieur R&D de se frotter au réel. C’était physiquement très dur avec beaucoup de « on call ». Après « ce stage ouvrier » de longue durée, je suis partie en R&D et je me suis lancée dans un domaine que j’apprécie : démarrer des projets d’une page blanche.

A la fameuse crise de la quarantaine je me suis posé beaucoup de questions : passer sa vie à extraire du pétrole, est-ce que c’est vraiment pour moi ?

J’avais une soif de sens. Je me sentais concernée par le dérèglement climatique et je me suis retrouvée en déphasage avec mes valeurs.

Avec un groupe de collègues qui partageait le même constat, nous avons présenté à notre management un projet écoresponsable d’intrapreneuriat.  Ils nous ont soutenus et nous ont proposé de rejoindre HEC et son programme Challenge+ de création de startup.

Quel a été le déclencheur pour créer ton entreprise ?

Dans le programme Challenge+ je suis entrée en tant qu’intrapreneure avec une équipe de Schlumberger et je suis ressortie avec une folle envie d’être entrepreneure. Mais mes collègues ne m’ont pas suivie. J’ai cherché un associé et je me suis rapprochée de Quentin, un ancien de Schlumberger qui avait fait des études complémentaires dans le bâtiment.  Il y a eu rapidement un « match » humain, et une complémentarité dans nos parcours.

 Qu’est ce que t’a apporté le programme Challenge+ de HEC ?

Ce programme a été fondateur. J’ai pu poser les bonnes questions et avancer petit à petit d’échec en échec, afin de transformer tout cela en réussite. J’ai été accompagnée également par un coach en entrepreneuriat à qui je dois beaucoup. Il m’a dit notamment que je n’aurais « ni problème technique, ni problème d’argent, mais des problèmes humains » et que ce qui restera de cette aventure c’est mon lien avec Quentin.  L’association c’est comme un 2e mariage.

 D’où est venue l’idée de Geosophy ? Ce nom est très poétique !

Il n’est pas anodin. Nous en avions choisi un autre au départ, mais nous l’avons testé lors du programme HEC et il ne remportait pas l’unanimité !

Geosophy signifie « la sagesse de la terre ». Nous exploitons la terre avec un objectif environnemental et nous prenons le contrepied des technologies qui en « abusent ». 

Je suis fan de poésie et de grec et j’ai eu une sorte de flash pour ce nom.

 Êtes-vous impactés par la crise du COVID ?

Nous avons commencé la commercialisation fin 2019 et la crise du COVID nous a obligés à arrêter les chantiers pour toute l’année 2020. Mais nous n’avons pas chômé : nous avons pu continuer notre activité R&D grâce à un financement de l’Agence de transition écologique (ADEME) qui complète notre levée de fonds.

La conjoncture est compliquée, mais nous suscitons l’intérêt. Nous avons de nombreux clients dans le foncier avec un attrait certain pour cette technologie. Nous testons actuellement notre version Beta chez Groupama : ils nous soutiennent et sont des clients de confiance.

 Quels sont tes prochains challenges ?

Nous devons tout d’abord finaliser le développement du moteur de recherche et de diagnostics, et on aimerait voir finalisées les installations qui en ont découlé ! Nous souhaitons également étendre nos prédictions à l’international. L’Europe est globalement à la traine dans le domaine de la géo-énergie alors que dans certains pays comme la Suède, un quart des bâtiments sont déjà équipés.

Je nourris également un projet artistique : pour moi, l’art aide au processus créatif et fait émerger des idées. Je suis partie du postulat que notre action sur l’immeuble ne se voit pas, comme la sève des arbres. Je rêve d’une matérialisation, qui permettrait de rendre visible, cet invisible sous-sol. Pour cela je recherche des artistes pour illustrer l’impact de Geosophy sur l’environnement et exposer ces œuvres à l’entrée de nos immeubles.

Avis aux amateurs ! Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?

Les philosophes en général m’inspirent, et plus particulièrement Edgar Morin, qui est également sociologue. L’approche systémique qui permet de regarder un problème sous tous les angles m’intéresse. Nous avons d’ailleurs pensé notre R&D de cette manière afin d’avoir une approche globale.

Aurais-tu un livre à nous conseiller ?

J’aime lire tous les philosophes et je puise également mon inspiration dans la poésie, le théâtre ou l’art en général : c’est très émotionnel.

J’ai beaucoup apprécié « L’ambition ou l’épopée de soi » de Vincent Cespedes. Il m’a amenée à réfléchir sur mon ambition collective, et mon impact sur la société : un sujet qui me parle énormément. Ce qui me porte c’est l’utilité pour le collectif.

J’ai également lu pendant la levée de fonds « Socrate antistress » d’Héloïse Guay de Bellissen, quand la philosophie nous aide à mieux combattre le stress…

 En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?

Oui, « On n’a jamais fini d’apprendre ».