Interview de Ama Lhajri, chef à domicile de « Chez Elle » à Bordeaux. Cheffe chez « chefs 4 the Planet ».
« Chez Elle » est un restaurant à domicile : les convives y viennent pour déjeuner ou dîner. Amal sert de deux à six couverts de manière privative. Les groupes de clients ne sont pas mélangés et il n’y a qu’un seul service. Le principe c’est la découverte.
En excluant ce que les gens n’aiment pas, Amal donne libre cours à son imagination pour leur offrir un voyage culinaire, entrée, plat-dessert. Chaque ligne évoque un pays différent. Amal est une personnalité solaire qui m’a séduite dès notre 1re rencontre au Mas de Pierre à Saint-Paul de Vence, lors d’une journée sur la RSE, organisée par CQS.
J’ai senti une force et un feu intérieur et j’ai eu naturellement envie d’en savoir plus.
Peux-tu nous expliquer ton parcours et ce qui t’a amené à te lancer dans la cuisine ?
Mon arrivée dans la cuisine date d’il y a 20 ans. C’est un mal pour un bien qui m’y a poussée. « A blessing in disguise » comme disent les Anglais et à première vue l’issue était dramatique pour moi.
Je souffrais d’une maladie orpheline, une parodontite agressive qui provoque une fonte des os de la mâchoire et donc un déchaussement des dents et qui a également atteint mes sinus. À l’époque je travaillais chez Xerox et j’avais des paralysies qui m’empêchaient de me lever de mon lit.
Les médecins m’ont donné 1 mois à vivre. J’ai résolu que ce ne serait pas un être humain qui déciderait de mon heure de fin et je me suis battue. Cette maladie a entraîné des conséquences dramatiques sur ma santé, avec des infections pouvant se transmettre au cerveau, des risques de crise cardiaque, des problèmes oculaires, mais j’ai tenu bon. Il y a 5 ans j’ai été greffée de la mâchoire inférieure et supérieure et je revis.
Quand la maladie s’est déclarée, j’ai dû m’adapter à elle. Après des études de psycho à Amiens, j’ai décidé en 2008 de rejoindre ma sœur à Bordeaux avec ma fille. Je suis marocaine et on nous apprend à cuisiner avant de savoir marcher ! Je suis gourmande. J’aime le contact avec les autres. Ces deux données additionnées, j’ai conçu mon projet. J’avais pris conseil auprès de mon ami Bruno Oliver chef de « la fabrique by Oliver ».
Je suis autodidacte, mais j’ai beaucoup voyagé, gouté la cuisine de chefs, tel un parcours initiatique. Je me « nourris » de rencontres dans les deux sens du terme.
En 2010 je me suis lancée en démarrant par un repas de presse. Pendant la Covid, j’ai eu la chance d’avoir un reportage de CNEWS, ce qui m’a propulsée sur le plan médiatique. Depuis je vis comme si demain n’existait pas. J’essaye de transmettre cette deuxième vie dans ma cuisine.
Comment a réagi ta fille, fasse à ta maladie ?
Elle avait 4 ans quand elle s’est déclarée. Je ne lui ai jamais rien caché. Je n’avais pas le droit de baisser les bras. Elle a vécu ma résilience, et elle me voit heureuse et épanouie maintenant. Je suis fière d’elle : elle a fait un parcours scolaire exemplaire.
Comment as-tu rejoint « chefs 4 the Planet » ?
La cuisine marocaine est de base très écoresponsable. C’est comme cela que j’ai eu l’occasion d’apprendre à Stéphane Carrade, chef 2 étoiles à préparer un yaourt naturel à base de foin d’artichaut. Il a été séduit et en a parlé à Sébastien Ripari, co-fondateur de « chefs 4 the Planet ». Grâce à cet effet domino, j’ai intégré cette association mondiale.
« chefs 4 the Planet » est un réseau de chefs qui sont soucieux de la planète, de notre santé, et des générations futures. Face à la triple urgence sanitaire, climatique et sociale, l’association rassemble les chefs qui agissent, au quotidien. Leur but est de promouvoir une cuisine saine et responsable, locale, bio et accessible au plus grand nombre — de la fourche à la fourchette pour une gastronomie durable.
C’est grâce à eux que participé au festival de la gastronomie d’Agen, où nous avons cuisiné un repas à 6 mains. Sebastien Ripari est « l’homme qui murmure à l’oreille des chefs ». Il les accompagne notamment dans la quête de l’étoile. J’adhère totalement à cet engagement et j’en parle aux chefs que je rencontre. Je suis une ambassadrice non officielle. Lors de notre réunion au Mas de Pierre, ils ont décidé de nous rejoindre.
Quels sont tes prochains challenges ?
Après mon expérience à Bordeaux où j’ai cuisiné pour des personnalités comme Mr Juppé, à Saint-Barth pour le groupe Bagatelle, j’aimerais m’ouvrir à cette clientèle ultra exigeante de la Riviera. J’en dirais plus à la rentrée.
Quelles sont les personnes qui-t-on inspirée dans ta carrière ?
Tout d’abord ma maman qui a toujours cuisiné bio et naturel. Quand j’ai démarré mon restaurant, je me suis beaucoup inspirée de Cyril Lignac : un homme jovial et chaleureux qui fait une cuisine gouteuse et simple.
Je suis fan de pâtisserie et de Christophe Michalack. J’ai eu la chance de faire un événement avec lui, porte de Versailles.
Cedric Grolet est un chef d’une modestie et d’une bienveillance incroyable. J’ai eu l’opportunité de le rencontrer au Meurice. Et je citerai également Philippe Conticcini : c’est un amour de personne qui partage régulièrement ses recettes sur internet.
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
« Les Fleurs du mal » de Charles Baudelaire. « L’amour est une rose, chaque pétale, une illusion, chaque épine, une réalité. ». J’ai réussi à enlever toutes les épines et j’avance !
Sinon je recommanderais un film « Happiness Therapy » réalisé par David O.Russell avec Bradley Cooper et Jennifer Lawrence. Il nous montre que la vie réserve parfois quelques surprises et que l’on peut transformer le négatif en rayon de soleil. Rien n’est grave, même pas la mort.
Quel est ta devise ou ton mantra ?
« Vivre comme si demain n’existait pas ».
À méditer.
A propos de l’auteur : Pascale Caron est membre du comité de MWF Institute et spécialiste de la technologie dans le domaine de la santé. Elle est CEO de la société Yunova Pharma, implantée depuis 2020 à Monaco et commercialise des compléments alimentaires dans la Neurologie.
Pascale est également directrice de rédaction de Sowl-initiative.