Interview de Fatou Sagna Sow, figure emblématique du panorama socio-économique et politique franco-sénégalais et fondatrice du cabinet, New Deal Consulting.

By Pascale Caron

Née à Paris, Fatou incarne une dualité culturelle, à la fois française et sénégalaise, qui a profondément marqué son parcours. Suite à une carrière réussie dans le secteur bancaire français, et chez de prestigieux cabinets d’avocats parisiens, Fatou a décidé de retourner au Sénégal, mue par le désir de contribuer à son essor économique et social.

Au Sénégal, elle s’est vite distinguée en tant que femme engagée et influente, devenant Conseillère technique auprès de l’ex-Premier Ministre, Dr Aminata Touré, au Conseil Économique Social et Environnemental. Elle est forte d’un bagage académique impressionnant. Droit des affaires, droit du multimédia et des systèmes d’information, ainsi qu’un Master spécialisé en gestion des télécommunications, Fatou a également rejoint l’Executive MBA de l’University of Chicago’s Booth School of Business.

Sa passion pour la politique s’est exprimée à travers divers engagements. Elle a été membre de la section Île-de-France du parti sénégalais AJ/PADS, conseillère municipale à Mantes-la-Ville, et référente du mouvement La République en Marche au Sénégal. Au-delà de la politique, Fatou a piloté d’importants projets de développement économique, illustrant son engagement pour l’innovation et le leadership féminin en Afrique. Nous étions donc impatients d’en apprendre davantage sur ses nouveaux défis avec New Deal Consulting.

Fatou, pourriez-vous nous parler de votre parcours et de vos projets ?

Je me suis intéressée au Sénégal dès les années 2000, choisissant de m’engager en politique sénégalaise tout en étant basée en France. Ainsi, j’ai milité pour un parti politique sénégalais auprès de la diaspora sénégalaise en France, ce qui m’a permis de côtoyer de nombreux décideurs politiques et membres de la communauté sénégalaise. Vivant à Paris et ayant étudié là-bas, je ressentais le besoin de renouer avec mes racines. La politique m’a semblé être le moyen de participer à la gestion de la société, de travailler avec d’autres personnes et de trouver des solutions aux problèmes sociaux. En 2016, j’ai quitté la France, à la recherche d’un changement et désireuse de voir ce que je pouvais accomplir en me mettant au défi. Cela m’a menée au Sénégal pour explorer le domaine du développement économique et me challenger personnellement.

Votre famille vous a-t-elle suivi ?

Oui, mon mari travaillait déjà à Dakar et faisait des allers-retours. Nous sommes partis avec nos deux jumeaux de cinq ans, qui ont découvert le pays. Je crois qu’ils sont très heureux aujourd’hui et je les considère souvent comme des « enfants du soleil ». Je suis ravie de les voir s’épanouir au Sénégal.

À mon arrivée, j’ai rejoint une ONG, sur divers sujets de développement, de transfert de technologie, d’accompagnement et de structuration de projets. J’ai ensuite été nommée conseillère technique auprès de l’ancienne Première Ministre Aminata Touré, au Conseil économique, social et environnemental. J’ai abordé de nombreux thèmes enrichissants, tels que le leadership féminin, la culture, le sport, le numérique, l’économie verte et l’économie bleue. Quelle expérience gratifiante !

Depuis, j’ai fondé mon cabinet, New Deal Consulting, dans l’idée de valoriser cette double culture qui est la mienne. Il y a beaucoup de jeunes talentueux au Sénégal. Chaque année, 300 000 jeunes sortent du système scolaire, mais malheureusement, peu trouvent un emploi qui corresponde à leur valeur.

L’objectif est de créer des liens et des opportunités dynamiques. Je pense qu’il est important de connecter les jeunes compétents d’ici, qui connaissent bien l’environnement local, avec ceux de l’étranger qui regardent l’Afrique avec envie, mais ne savent pas par où commencer. En formant des équipes projet diversifiées, nous pouvons créer de belles synergies. C’est le pari que je fais. Nous avons débuté avec Lunana, un projet visant à transformer les fibres de troncs de bananiers en protections hygiéniques 100 % naturelles, biodégradables, écologiques et respectueuses de la santé de la femme.

Mon objectif est d’accompagner les jeunes dans l’entrepreneuriat. Pour moi, la meilleure façon de les soutenir n’est pas de les incuber, comme je le vois souvent, mais de prendre des risques avec eux. Je travaille avec eux et j’ai embauché cinq stagiaires venant de France, ainsi que quatre jeunes de l’École Supérieure Polytechnique du Sénégal. Ensemble, nous avons formé un groupe de dix collaborateurs et avons développé Lunana. Grâce à mon réseau au Sénégal, nous avons structuré le projet, nous l’avons présenté aux acteurs publics et privés, et avons été ravis de l’intérêt suscité, notamment auprès de l’administration, et de plusieurs ministères. La troisième personnalité de l’État, la présidente du Haut Conseil des collectivités territoriales, a été séduite par le projet, ainsi que plusieurs responsables publics.

Nous cherchons désormais des financements, peaufinons le projet d’un point de vue technique et organisationnel. Une fois le prototype prêt, nous lancerons une entité juridique pour Lunana, qui n’existe pas encore. Ces jeunes qui m’accompagnent sortiront de cette expérience avec des actions de la nouvelle entité juridique. Un véritable New Deal de l’entrepreneuriat.

 

Avez-vous des partenariats avec des universités ?

J’ai des partenariats avec l’École Supérieure Polytechnique, dont sont issus les quatre jeunes qui nous accompagnent, notamment dans les départements de biologie et de mécanique. Je suis également en partenariat avec le Centre de formation professionnelle et technique Sénégal Japon, qui fabrique toutes nos machines d’extracteur de fibre et autres. L’idée est vraiment de tout faire localement, en utilisant les ressources humaines, naturelles et techniques locales, afin d’avoir une solution durable.

J’ai eu une formidable nouvelle cette semaine. En effet, le groupe Lagardère Travel Retail devient notre premier sponsor. Le groupe va contribuer partiellement au financement de la phase de prototypage des serviettes LUNANA qui doit au total coûter 10 millions de francs CFA. C’est formidable. Les entreprises françaises au Sénégal, qui sont ma cible, ont tout intérêt à soutenir de telles initiatives qui créent des liens humains entre les jeunes de France et du Sénégal. Cela contribue à combattre le sentiment anti-français, qui monte dans la région du Sahel, en créant des liens économiques et de qualité entre les générations futures.

 

 

Avez-vous des relations avec des universités en France ?

Je suis encore à la recherche de ce type de partenariat. Avec Lunana, nous démontrons ce que nous pouvons accomplir en combinant différentes synergies, compétences et cultures.

J’ai déjà un nouveau projet en préparation. Nous allons lancer une ferme de champignons gourmets, dans le sud du Sénégal, en Casamance. Nous travaillons avec un professeur spécialiste des champignons qui a réalisé de nombreuses recherches et expérimentations sur différentes espèces. Actuellement, il n’existe pas de ferme de champignons au Sénégal, malgré une forte demande pour la consommation immédiate. Ce projet, que j’ai évoqué à la FAO, est très prometteur et pourrait bénéficier de la collaboration d’étudiants passionnés de culture en France ou à Monaco. Il est crucial de les impliquer et de leur permettre d’exprimer leurs talents. Nous cherchons toujours à établir des liens et des partenariats dans une démarche d’innovation. Nous aimons travailler avec le milieu de la recherche et d’autres spécialistes pour optimiser les processus et interpréter nos résultats d’analyses. Nous sommes ouverts à tout type de partenariat.

Lagardère nous soutient financièrement, mais aussi potentiellement pour la commercialisation via leur réseau une fois le produit finalisé. Nous avons autant besoin de partenaires financiers que techniques pour la réussite de ce beau projet pour les femmes.

 

Qui vous a inspiré dans votre carrière ?

J’ai été inspirée par Aminata Touré, ancienne Garde des Sceaux et Premier Ministre au Sénégal. Pour moi, elle est avant tout une grande sœur, une amie, et j’admire sa simplicité. C’est une femme compétente, brillante, charismatique, qui reste humble malgré ses responsabilités. J’ai eu le privilège de travailler avec elle et de percevoir son exigence envers elle-même. Partout où elle passe, elle est appréciée et applaudie à juste titre. Elle a refusé le poste de secrétaire général adjoint des Nations Unies en 2019 pour poursuivre son engagement au Sénégal, ce qui témoigne de son envergure et de sa détermination à œuvrer pour ce pays. Son humanité et sa sensibilité sont des qualités que j’aspire à reproduire.

 

Avez-vous un livre ou un podcast qui vous accompagne dans votre vie ?

Une amie à moi, Vince CHAN, anime un podcast sur le changement, un sujet très actuel. Elle interviewe des personnalités du monde entier pour explorer leur rapport au changement. Je vais moi-même, intervenir dans ce podcast pour évoquer la manière dont j’ai pu passer de juriste en banque à Paris à initiatrice de projets économiques à fort impact social au Sénégal. L’Afrique fascine, et c’est un continent qui est au cœur de nombreux bouleversements. Nous n’adoptons pas les mêmes approches de communication, nous réinventons l’industrie dans le but de promouvoir une industrie propre, sans reproduire les erreurs de l’Occident. Il y a tant à apprendre sur ce continent.

Le changement est fondamental et vital dans notre monde actuel, caractérisé par un environnement en perpétuelle évolution. J’ai réinventé ma vie en Afrique, je vous invite à nous rejoindre dans cette belle aventure entrepreneuriale africaine. C’est ça le New Deal !

Auriez-vous une devise ou un mantra ?

« toujours chercher à sortir de sa zone de confort, constamment se challenger », cette démarche est primordiale pour moi.

Ayant travaillé en droit des affaires, en droit des nouvelles technologies, et en droit bancaire et financier, je suis aujourd’hui une généraliste capable d’aborder n’importe quel sujet grâce à ma polyvalence. Cette agilité est cruciale dans le monde actuel. Chacun doit trouver sa propre agilité tout conservant son authenticité. Il est fondamental de rester fidèle à soi-même tout en se construisant et en capitalisant sur ses expériences. C’est cela qui est beau dans la vie !

Voici la page Linkedin de Lunana: https://www.linkedin.com/company/lunanasenegal/

A propos de l’auteur : Pascale Caron est membre du comité de MWF Institute et spécialiste de la technologie dans le domaine de la santé. Elle est CEO de la société Yunova Pharma, implantée depuis 2020 à Monaco et commercialise des compléments alimentaires dans la Neurologie.

Pascale est également directrice de rédaction de Sowl-initiative.