[Education] innovation

Interview de Christelle Caucheteux, fondatrice de LifeBloomAcademy : une entrepreneure sociale, professeure, exploratrice en pédagogie et passionnée par l’éducation et les Ed Tech.

By Pascale Caron

Diplômée de l’EDHEC, elle s’est consacrée pendant plus de 15 ans à l’innovation et à la réalisation d’activités internet et commerciales dans le prêt-à-porter. Elle a été tour à tour responsable du Style & du Marketing de l’Offre pour Pimkie, co-fondatrice de la marque NoBoYs en Allemagne, directrice des marchés pour la Redoute. Puis pendant 6 ans, en tant que directrice générale du réseau des diplômés EDHEC, elle a accompagné des étudiants, dirigeants et entrepreneurs dans la concrétisation de leur potentiel. Elle a été également coordinatrice pédagogique du projet Stan’up. Il s’agissait d’un concours de création d’« entreprises sociales et solidaires » à destination des collégiens et lycéens du collège et lycée Stanislas à Nice où elle a enseigné comme professeure de Sciences économiques et sociales.
Cette idéaliste pragmatique est mère de deux adolescents. À travers LifeBloomAcademy elle met ses multiples talents et son énergie bouillonnante, au service du développement personnel des enfants et adolescents.

Comment as-tu décidé de pivoter dans ta carrière, tout d’abord en devenant professeure et ensuite entrepreneure ?

Je suis issue d’une famille d’enseignants sur 2 générations. Ma prise de conscience a commencé quand j’ai réalisé que mon fils aîné ne trouvait pas sa place à l’école et se flétrissait au fur et à mesure de sa scolarité. J’ai entamé un cheminement initiatique qui m’a fait réaliser que beaucoup d’enfants étaient sous pression et se désintéressaient de l’école. J’étais alors, à la Redoute, et j’ai dû gérer un plan social ; je me suis rendue compte que je devais modifier quelque chose dans ma vie. L’éducation n’avait pas encore fait sa transformation digitale, sa mue, et je me suis alors passionnée pour l’enseignement et sa révolution. J’ai eu une révélation quand j’ai lu « l’éducation réinventée » de Salman Khan. Il est convaincu que notre façon d’enseigner et d’apprendre doit changer. Nous devons passer d’une démarche passive à une plus active. Pour lui, le cours magistral en classe et les devoirs individuels chez soi n’ont plus de sens à l’ère numérique. Il soutient le décloisonnement de la classe vers une classe unique. Elle doit être sans limites d’âge, basée sur l’entraide entre les élèves de générations différentes. J’ai mûri pendant 8 ans, le projet d’ouvrir un collège d’un nouveau genre. Tout au long de ces années, mon projet se construisait. Je me suis formée aux neurosciences, au « Design Thinking » et je me suis passionnée pour la pédagogie positive et les fondements cognitifs des apprentissages scolaires. J’étais alors à l’Edhec et je voyageais souvent. Comme j’avais peur en avion, je discutais avec mes voisins et souvent je parlais de mon rêve de création. Un jour sur le « Nice Paris », un entrepreneur me parle des « summer camps » pour les petits Américains sur l’entrepreneuriat. Cette réflexion a résonné en moi, c’est pour cela que j’ai créé des stages permettant aux jeunes de découvrir l’entrepreneuriat social. Avant d’ouvrir mon collège, je voulais être sûre de moi. J’ai donc enseigné au sein de Stanislas à Nice et du Lycée Professionnel Escoffier. Ouvrir le collège était mon projet de cœur, « ma face nord d’une falaise de glace » et pour cela je devais être préparée comme un sportif de haut niveau. Au sein de Stanislas j’ai rapidement commencé par des stages d’été ou de vacances. Je remercie M. Faivre pour se confiance.

Dans les parcours IKIGAY que j’anime, je demande aux jeunes d’imaginer qu’ils intègrent le shadow comité d’Emmanuel Macron : « Vous avez votre mot à dire : quel message voulez-vous passer ? ». La recommandation qui ressort systématiquement est : changer l’école, atténuer la pression scolaire et les défiances professeurs/élèves. Cela conforte ma conviction qu’un autre collège est possible. Un établissement où élèves et professeurs font équipe et suivent les programmes scolaires dans la joie, avec du sens, autour de projets concrets.

Peux-tu nous parler de LifeBloomAcademy ? Et tout d’abord d’où vient ce nom ?

Life Bloom signifie l’éclosion de la vie. L’adolescence est une période charnière et c’est justement le moment de leur germination, de leur transformation physique et de la perte de repères. Nous les accompagnons, à être entrepreneurs de leurs vies, à développer de « Soft Skills » afin de comprendre que le savoir être et plus important que le savoir-faire. Ils deviennent des citoyens éclairés, architectes d’un monde durable, tout en prenant du plaisir. Nous leur donnons des armes, pour mieux réussir, et se projeter dans l’avenir en stimulant leur créativité, leur confiance en eux. Ils apprennent également à se connaitre et à s’apprivoiser. Notre pédagogie est basée sur la coopération, la créativité, l’esprit d’équipe ; nous leur permettons de découvrir qui ils sont et comment ils se comportent avec les autres, et de s’épanouir pour faire grandir le monde. À l’ère digitale, bâtir un enseignement efficace encore plus humain et connecté, c’est possible et c’est ce que nous mettons en œuvre chez LifeBloomAcademy.

Nous construisons des solutions éducatives sous forme d’activités extrascolaires comme des stages à distance, ateliers hebdomadaires ou des parcours e-learning. Il s’agit de formations boosters de confiance : Start Me Up, apprentis entrepreneurs sociaux, IKigaï, trouver sa voie, School’Up, apprendre à apprendre. 

Nous avons créé un collège alternatif bilingue « Enjoyschool » situé à Cagnes-sur-Mer. Nous mixons les expériences actives et les pratiques d’entreprise. L’équipe d’animation exploite le digital, la coopération, le jeu, l’intelligence collective et le « design thinking ». Les jeunes entreprennent des projets, découvrent leurs cerveaux, trouvent leur voie et leurs talents.

 Derrière cette académie, se cache-t-il également une recherche d’utilité sociale ?

 En effet, au-delà de l’impact positif auprès des élèves et stagiaires participants à nos activités, nous souhaitons contribuer à faire avancer la recherche en éducation et à essaimer nos méthodes gratuitement auprès des parents. Nous participons actuellement au groupe de travail GTnum #Scol_IA, animé par le LINE, Laboratoire d’Innovation et numérique pour l’Éducation. Le but est de faire progresser la réflexion sur le renouvellement des pratiques numériques en intégrant l’intelligence artificielle.

D’autre part, nous avons développé la rubrique #conseils sur notre chaîne YouTube pour diffuser gracieusement une partie de nos pratiques. Nous aidons ainsi les parents en leur faisant découvrir le fonctionnement du cerveau dans l’apprentissage pour leur permettre d’accompagner leurs enfants dans les devoirs.

Quel a été l’impact de la crise du COVID pour tes activités ?

 Le confinement a été une opportunité. J’avais lancé ma campagne de crowdfunding juste avant. Pendant le confinement, nous avons assuré 100 % de nos cours en ligne. Cette expérience a fait l’objet d’un article que l’on peut trouver sur le blog de Jean-Charles Calliez d’EducPro. Cette période a renforcé l’esprit de communauté apprenante du côté élèves, mais aussi du côté enseignants. Nous avons pu également lancer des stages en ligne comme Ikigai et School’up pour des enfants à Londres, en Égypte, en Suisse : notre horizon s’est ouvert.

 Peux-tu nous parler des projets éducatifs mis en place pendant la crise ?

 Nous avons consacré des plages horaires à l’échange sur le virus, pour que les élèves puissent « déposer » leurs inquiétudes et ainsi bien préparer leur tête à travailler. Nous avons également mis en œuvre un projet interdisciplinaire sur le coronavirus, utilisant l’actualité pour apprendre. Nous souhaitions que les enfants comprennent de manière approfondie la crise pour augmenter leur confiance. Et puis, cette crise est un problème complexe à comprendre, donc un « cas d’école » parfait pour couvrir une partie du programme en étant ancré dans le réel.

 À partir de janvier 2020, chaque jeudi, lors de notre « Quoi de neuf dans le Monde ? », nous suivions la progression de cette épidémie. Le 12 mars, nous décidons de lancer le projet Étude d’une épidémie. À la manière de journalistes d’investigation, nous sommes partis à la découverte des causes de l’émergence de la Covid 19. Nous avons analysé ses impacts sur les hommes (conséquences sociales, économiques…). Ce projet a permis de mieux comprendre l’actualité et d’étudier la propagation d’une épidémie d’un point de vue mathématique, scientifique, géopolitique… et médiatique ! Nous avons abordé les épidémies de l’Histoire (Peste, Grippe espagnole.), compris le rôle de la censure. Nous avons parlé démocratie et régime autoritaire, localisé Wuhan, rappelé ce qu’est un pays émergent, une politique de prévention, une crise sanitaire (programme de géographie). Nous avons appris à déjouer les « fake news », car de nombreuses rumeurs circulaient et circulent encore sur le virus. Nous avons expliqué le rôle du gouvernement, les pouvoirs du président (programme d’EMC). Nous avons fait le lien avec le programme de SVT au collège : système immunitaire, bactéries, virus, vaccins… Nous avons travaillé sur les calculs de pourcentages en parlant d’immunité collective, compris ce qu’est une courbe exponentielle. Finalement, les élèves ont rédigé l’article, et l’ont structuré sans faute d’orthographe. Tout au long du projet, ils prenaient en charge des missions en fonction de leurs envies pour faire avancer le projet. Ils avaient une grande motivation, car c’était l’actualité.

 C’est absolument fascinant, bravo. Quels sont tes prochains challenges ?

 En tant qu’entrepreneure de l éducation, j’ai pu finaliser mon « Proof Of Concept. » Le collège existe, nous aurons 30 élèves l’année prochaine, et nous avons déjà formé plus de 600 élèves depuis le début de l’aventure. Mais ce n’est que le début, je voudrais essaimer le concept, solidifier le modèle et trouver d’autres modes de financement, notamment pour les bourses de scolarité pour nos élèves. Nous effectuons déjà des stages à Paris et grâce au numérique nous avons pu nous ouvrir à l’Europe. Sinon je rêve de faire un TED et plus tard d’écrire un livre.

 Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?

Sans hésiter, Salman Khan et sa Kahn Academy, mais aussi Ken Robinson et son TED « Do school kill creativity? ». Je citerais également Claude Terosier, fondatrice de « magic makers », qui apprend aux enfants à programmer, et pour finir, Magarida Romero, la directrice du Lab de recherche en éducation numérique de Nice. Elle est incroyable et partage, collabore et anime avec enthousiasme un réseau de chercheurs et d’écoles. Elle crée des ponts entre chercheurs et professeurs. Comme moi elle est un rond dans un carré !

 Aurais-tu un livre à nous conseiller ?

Oui, plusieurs ! Tout d’abord, « Former avec le Funny learning » de Brigitte Boussuat et Jean Lefebvre. Pourquoi continuer avec le même enseignement pour tous, alors que les neurosciences révèlent que chaque cerveau est unique et apprend à sa manière ? « L’École du Colibri. La Pédagogie de la coopération » d’Isabelle Pelloux. En 2006, elle fonde une école différente, au cœur du centre agroécologique des Amanins, dans la Drôme. Elle y développe une pédagogie fondée sur la coopération entre les élèves ainsi qu’un enseignement spécifique d’éducation à la paix avec soi-même, avec les autres et avec l’environnement.

 En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?

Je dis fréquemment « On ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux ». C’est une citation du « Petit Prince » de Saint Exupéry.

 Merci, Christelle, pour ce cœur à cœur…