Interview de Gaïa Donzet, Présidente de GD Stratégies. Référence reconnue dans l’achat d’Art Moderne et Contemporain, Gaïa conseille et accompagne les collectionneurs dans l’acquisition d’œuvres.

J’ai rencontré Gaïa lorsqu’elle présidait le conseil d’administration de la Villa Arson à Nice. J’y siégeais également en tant que personnalité qualifiée. Gaïa est une femme passionnée, véritablement solaire, inspirante et j’ai voulu vous la faire connaître dans cet entretien tout en sensibilité.

Mais tout d’abord, commençons par son portrait : après une maîtrise d’Histoire de l’Art à La Sorbonne avec pour sujet de mémoire, les fondations et collections d’entreprises, Gaïa Donzet part à Londres pour collaborer à la revue Contemporary Magazine. Elle rejoint ensuite la maison de ventes aux enchères internationale Bonhams 1793 Ltd et crée en France leur succursale qu’elle va diriger durant 5 ans.

En 2009, elle est chargée par la prestigieuse galerie italienne Tornabuoni Art, spécialisée en Art Moderne et Contemporain, de créer sa filiale à Paris. Pour les propriétaires, la famille Casamonti, elle élabore la stratégie sur 5 ans du développement de la galerie en instaurant une politique volontaire d’acquisition et de vente d’œuvres modernes et contemporaines centrées sur des expositions quasi muséales. Grâce à ses qualités relationnelles et sa persévérance, elle introduit Tornabuoni Art au salon Tefaf de Maastricht puis à Art Basel.

C’est alors qu’Édouard Carmignac, l’une des 50 plus grandes fortunes de France la choisit comme conseil pour sa fondation. Gaïa se consacre pendant 5 ans à l’orchestration de ce nouveau projet et se charge de la curation de la collection. D’autre part, elle édite également des livres, et surtout, supervise la construction du musée sur l’île protégée de Porquerolles. Pour cette mission d’envergure, elle pilote les volets architecturaux, paysagers et artistiques.

Chaque année depuis l’ouverture, je visite ce lieu magique, avec ma famille. Quelle expérience incroyable de ressentir les créations, pieds nus, de déambuler dans les jardins magnifiques, et de diner au crépuscule sous les arbres. Derrière chaque détail on imagine la touche de Gaïa et la somme de travail fourni.

Depuis 2017, elle a fondé sa propre société : G D Stratégies, conseillant des personnes privées et des entreprises ou même des collectivités locales dans leurs acquisitions d’œuvres.

 

Qu’est-ce qui t’a amené à faire carrière dans l’Art ? 

J’ai été plongée dès le berceau dans le monde de l’Art avec un père architecte et une mère éditrice. J’ai visité très tôt des expositions le dimanche, et pas toujours de bon cœur au début, mais je n’ai jamais regretté. Quand on est enfant, le temps n’est pas le même : on peut s’arrêter devant un tableau, une photo, une sculpture qui va parler plus directement à son inconscient. Cette période de ma vie a développé ma sensibilité.

Plus tard, j’ai eu plusieurs opportunités de me rapprocher du monde de l’Art. J’ai tout d’abord rédigé mon premier texte de critique d’art pour un de mes meilleurs amis artistes, à 17 ans. Étudiante, j’ai fait des petits boulots pour des galeries pendant la FIAC et je me documentais sur les œuvres que je présentais. J’ai apprécié le fait d’être immergée dans la création. Transmettre des émotions à travers une image ou une sculpture m’a passionnée. J’ai constaté la puissance d’offrir une expérience aux gens en leur communiquant l’amour pour un tableau. Lorsqu’on arrive à trouver l’œuvre qui correspond au gout de quelqu’un et qu’il découvre quelque chose en lui-même, grâce à elle, on contribue au lien entre l’artiste et le futur collectionneur. Le but de l’artiste c’est de créer une émotion en nous. Quand cela se déroule devant moi c’est très grisant.

En parallèle, ma relation avec les jeunes artistes et l’appui que je peux apporter pour booster leur carrière est très gratifiante.

 

Comment as-tu passé le pas de l’entrepreneuriat ?

C’est difficile de se lancer, tant au niveau professionnel que personnel. Être salarié te procure la sécurité même si c’est un peu infantilisant. Créer son activité nécessite une anticipation, comme mettre de l’argent de côté pour tenir les premières années, ce que je n’ai pas du tout fait. J’avais un enfant, j’étais enceinte du deuxième, et je venais de me séparer de mon conjoint. J’étais au top de ma carrière avant mes 40 ans. J’avais conçu mon propre musée, géré un projet global sur l’île de Porquerolles, choisi les artistes, les architectes, les designers, jusqu’aux produits dérivés. Je me suis occupée aussi du vignoble attenant.

La question s’est posée alors : est-ce que je recommence la même chose pour quelqu’un d’autre en étant salarié ? Est-ce que je vais retrouver la liberté de créer et la collaboration exceptionnelle que j’avais avec mon employeur ? Quand on a goûté à cette liberté dans le travail, de dire ce que l’on pense et de faire ce qu’on aime, il est très difficile de revenir en arrière.

J’ai commencé par explorer le meilleur pour moi, tout en apprenant à mieux me connaître. Je me suis tout d’abord rapprochée de potentiels associés. À cette occasion, j’ai pu me comparer et me valoriser en me séparant du fameux complexe de l’imposteur. Après une expérience sur une foire d’art Asia Now en collaboration, j’ai décidé finalement de me mettre à mon compte seule.

J’ai démarré en conseillant d’abord des amis… Se faire rétribuer pour quelque chose qui est de l’ordre du plaisir est plutôt délicat. Au début, on n’est pas sûr de soi et on se solde souvent par avance. Mais au fur et à mesure, j’ai été rassurée et j’ai pu construire une relation de confiance avec les collectionneurs. Ce qui fait ma plus-value c’est ma passion de l’humain : je ne forcerai jamais un client à faire l’acquisition d’une œuvre qu’il ne ressent pas, simplement pour de la spéculation.

 

Quelle est la représentativité féminine parmi ta clientèle ?

De plus en plus de femmes font appel à mes services, c’est assez récent. Elles ont pendant longtemps délégué l’acquisition d’une œuvre quand le prix était au-dessus d’un certain montant, comme si l’achat n’était qu’un pur placement. Les mentalités ont changé. J’adore travailler avec elles, car le rapport entre la sensibilité, l’investissement, le choix est tout à fait différent. Elles sont souvent très sûres de leurs gouts !

 

Quel a été l’impact de la pandémie sur tes activités ? 

Le confinement a été à la fois un coup d’arrêt et finalement une opportunité : j’ai dû me réinventer. Les gens ont passé beaucoup de temps chez eux. Ils ont voulu embellir leur intérieur en acquérant une œuvre d’art. Toutes les galeries étaient bien sûr fermées, mais j’y avais accès, en tant que professionnelle. J’ai pu établir une relation plus intime et plus forte avec les collectionneurs : j’étais la seule personne qui avait pu voir l’œuvre et ils m’ont fait confiance en se décidant sur photos. Le paradoxe du confinement était que nous consommions tous de l’art, musique, livres, cinéma, retransmissions de pièces ou d’opéra, mais que le monde de la culture n’était pas aidé.

Les galeries étant lourdement impactées, j’ai eu l’idée d’exposer en plein air. Je me suis rapprochée des municipalités et j’ai organisé une première exposition d’astrophotographie à Megève. C’est un concept que j’ai imaginé en partenariat avec un collectionneur. La finalité était d’apporter de la beauté, de la poésie, de la découverte, de l’évasion et de démontrer que l’art est accessible à tous. J’y ai rajouté des citations sorties du contexte, d’Oscar Wilde à Bernard Tapie, pour interpeller ! J’ai été ravie d’apprendre que la ville prolonge l’exposition pour la saison d’hiver.

 

Quels sont tes futurs challenges ?

Je cherche tout d’abord à recréer cette expérience d’exposition en extérieur dans d’autres localités… Je souhaiterais également me rapprocher des entreprises et les aider à investir dans l’art tout en défiscalisant. Peu d’entre elles sont au fait des dispositifs existants et il est de mon devoir de les informer afin de soutenir les jeunes artistes. Je me suis rendu compte que tout part de la passion d’un CEO pour l’art. Chez Édouard Carmignac, on pouvait trouver un Roy Lichtenstein au-dessus de la photocopieuse, ou d’autres moins connus dans les bureaux et les couloirs. Peu d’entre eux savent que l’on peut passer par une société de leasing, louer les œuvres et bénéficier, in fine, d’une option d’achat. Ils peuvent ensuite proposer aux employés de l’acquérir à 10 % de sa valeur !

Mais mon plus gros défi est de dénicher les grands artistes de demain, et les défendre auprès des collectionneurs. Ma plus belle satisfaction est de découvrir un artiste que je retrouverai 3 ou 5 ans plus tard dans des galeries internationales. Mon vrai challenge est de créer l’envie en permanence. J’ai la chance d’avoir des clients qui font des acquisitions autant par plaisir que pour des motifs rationnels. En ce moment par exemple, j’ai un tableau de Pierre Soulages à vendre. Inutile de le présenter, mais c’est le seul à avoir été exposé de son vivant au Louvre. Si l’acheteur n’a pas le coup de cœur pour cette œuvre, je n’insiste pas. Mes clients apprennent avec moi à se faire confiance, je les rends indépendants, jusqu’au jour où ils n’auront plus besoin de moi.

 

Quelles sont les personnes qui t’ont inspiré dans ta carrière ?

Le premier qui me viendrait à l’esprit est un professeur de français très exigeant et qui allait puiser en nous l’interprétation. Nous avions travaillé sur le livre « Le chef-d’œuvre inconnu » de Balzac. Dans cette histoire, l’œuvre de l’artiste disparaît, à mesure qu’il peint, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que le pied. Il nous avait posé la question « Pourquoi le pied ? ». C’est à cette occasion que j’ai appris qu’il n’y avait pas de bonne ou mauvaise réponse, chacun interprète avec son propre ressenti. Je me sers encore aujourd’hui de ses enseignements quand je conseille mes clients.

Je citerais bien sûr Édouard Carmignac, une personnalité tout à la fois tranchante et sûre d’elle-même avec, en même temps, une réelle qualité d’émerveillement. Il suit son intuition et à ce niveau d’excellence dans les affaires, il est très décomplexant. « En art comme en amour, l’instinct suffit. », nous disait Anatole France.

 

Aurais-tu un livre à nous conseiller ?

Je commencerais par « Neige » de Maxence Fermine. Il est écrit comme une calligraphie chinoise dans un paysage de neige.

Mon deuxième est « Novecento », d’Alessandro Baricco, pour la beauté et le surréalisme de l’histoire étrange et merveilleuse.

Mon dernier conseil, ce sont les livres de Christian Bonin. Écrits comme des romans, il ne faut pas les lire d’une traite, mais apprécier chaque paragraphe comme une poésie à part entière. Chacune décrit la beauté d’un instant. Chaque phrase est un tableau et le dernier parle de Pierre Soulages.

 

Quelle est ta devise ou ton mantra ?

À l’époque où je travaillais pour la fondation Carmignac, ma devise était : « Ils ne savaient pas que c’était impossible, alors ils l’ont fait » de Mark Twain.

Aujourd’hui je me répète souvent, « Ne réagis pas, agis ! ».

 

À méditer.