Interview de Sophie Le Ray, Co-fondatrice de EVE LIST, Directeur de programmes du « RISE Executive women program » de IE Business School Madrid, et nouvellement Directrice d’Initiative Côte d’Azur.
By Pascale Caron
Sophie est une entrepreneure passionnante qui fourmille de projets avec une large expérience à l’international. Elle a décidé récemment de poser ses valises chez Initiative Côte d’Azur afin de soutenir l’entrepreneuriat local.
J’ai fait sa connaissance lors de l’Assemblée générale d’Initiative France. Nous avons partagé un taxi au retour de l’aéroport et on ne s’est pas arrêtées de parler pendant le trajet. J’ai eu envie de vous la présenter.
Peux-tu nous décrire ton parcours ?
Il est très atypique. Très jeune, mon rêve était d’être archéologue. Mais je n’ai pas voulu m’engager dans les études tout de suite. Donc mon bac en poche, je suis partie 2 ans à Paris puis aux États-Unis, où j’ai fait des petits boulots. De retour en France j’ai suivi un cursus universitaire d’histoire ancienne. J’ai poursuivi ma formation jusqu’aux portes du doctorat. J’avais 27 ans et j’étais déjà maman.
Cette période de ma vie a été déterminante, car c’est à ce moment-là que le doute s’est immiscé en moi : moi qui ne doutais de rien je me suis mise à me poser des questions. Je me trouvais étriquée dans le milieu universitaire. Si les études me plaisaient beaucoup, le système lui-même ne me convenait pas. J’ai vécu alors un grand moment d’épiphanie : mon ordinateur a explosé d’un coup, j’ai perdu toutes mes recherches et j’ai décidé de changer de voie, comme ça, d’un seul coup.
Je suis partie en Angleterre dans une société qui organisait des conférences et des sommets professionnels. Mon travail consistait dans la production des conférences. J’y ai rencontré mon second époux avec qui j’ai eu une deuxième fille. Cette nouvelle mission satisfaisait ma curiosité intellectuelle et me permettait de découvrir des civilisations en voyageant. Je dis souvent aux étudiants que dans la vie si on sait prendre les opportunités, cela nous ramène à l’essentiel.
De retour sur la Côte d’Azur, après quelques années je suis rentrée en tant qu’associée dans une société monégasque organisatrice d’événements professionnels, Naseba. Notre but était le soutien à la croissance des entreprises dans les marchés émergents, par l’introduction d’investisseurs, des sommets B2B et la formation des cadres. On s’est beaucoup développés dans le Moyen-Orient, l’Asie et l’Afrique.
Cette expérience m’a amenée en 2008 à m’installer à Dubai et à travailler dans tout le Moyen-Orient, et j’y ai fait une grande découverte, le « féminisme ». Jusqu’à lors le fait d’être femme n’avait jamais été un frein. Les portes s’étaient toujours ouvertes facilement pour moi et je n’avais jamais vécu de plafond de verre.
Au Moyen-Orient j’ai rencontré des femmes fortes, intéressantes, qui avaient une manière de fonctionner différente de l’occident. En 2008, j’ai fondé le Global WIL Economic Forum (« Women In Leadership »), la première plateforme pour les femmes d’affaires dirigeantes au Moyen-Orient et en Asie. Ça a démarré comme un « gentle women’s club », qui avait pour but de casser l’image des femmes du Moyen-Orient, de « femme soumise », et de créer des ponts avec les femmes entrepreneures occidentales. On a pu organiser également WIL en Inde, Delhi et Bombay, en Malaisie à Kuala Lumpur, sous le patronage de la femme du 1er ministre de l’époque. En 2010 et 2012, on l’a amené en Arabie Saoudite et une dernière fois en 2018 au moment où Mohamed Ben Salmane est arrivé au pouvoir. Entre 2010 et 2018, la conférence a complètement changé et a passé à une fréquentation de 2000 personnes ; ça a été un grand moment pour moi qui a permis de boucler la boucle. C’était un gouffre financier, mais c’était tellement beau à voir que je ne pouvais pas m’arrêter.
En 2016, j’ai eu la chance de co-écrire « Game Changers: How Women in the Arab World Are Changing the Rules and Shaping the Future » avec mes partenaires spécialistes du leadership et de la diversité. J’ai pu rajouter ma contribution à base d’entretien des pionnières de la région, sur la place de la femme dans le monde arabe.
Je suis finalement rentrée en France, dans le sud, pendant la Covid. J’avais envie de faire autre chose. J’ai commencé à faire des missions pour des clients et j’en ai profité pour réfléchir à m’investir dans de nouveaux projets qui me parlent.
Avec un groupe de camarades, on a réfléchi à comment mesurer les efforts des entreprises en matière de parité homme femme et établir un score très simple, pertinent et impartial. Notre objectif était de le mettre en relation avec des chercheurs d’emplois. On s’est basé sur des données publiques et on a lié cela avec la plateforme Indeed. On a donc créé EVE List sous la forme d’une organisation à but non lucratif.
Je me suis associée au directeur informatique de ma précédente boite et un ancien directeur de JP Morgan à New York qui était rentré également pendant la Covid. J’ai sympathisé avec ce génie des maths qui avait travaillé après de femmes sans comprendre pourquoi il y avait ces divergences de traitement salarial entre les sexes. Il est parti depuis vers de nouvelles aventures, car il gère depuis un département à l’EDHEC de recherches en risques.
Cette aventure est finalement arrivée à ses limites, mais c’est elle qui m’a amenée vers Initiative, car dans le cadre de EVE LIST nous avions reçu le label Initiative remarquable.
Te voici donc depuis juillet, Directrice de la branche cote d’azur d’Initiative. Quelles sont tes premières impressions ?
C’est un véritable honneur pour moi de soutenir l’entrepreneuriat local. J’ai dans les mains un authentique bijou. D’un côté, nous avons une équipe de permanents forte, mais nous avons aussi à notre disposition 250 bénévoles experts dans leur domaine. C’est unique et formidable. Quiconque pense que la France n’est pas un endroit pour entreprendre est mal informé. Nous avons un taux de pérennité des entreprises accompagnées de 96 % sur 3 ans : c’est exceptionnel. Nous devons poursuivre et faire connaître ce travail d’accompagnement à toutes les catégories d’entrepreneurs de notre territoire.
Quels sont tes projets ?
La 1re étape est de comprendre les rouages, car c’est une machine complexe avec beaucoup d’intervenants. Je vais apporter ma personnalité et mon expérience dans le mix. Venant d’un univers international dans des domaines innovants, j’aimerais que l’on reste dans la continuité tout en développant l’expertise dans ces nouveaux domaines. On doit se rendre utile à l’écosystème existant. Innovant, ne signifie pas uniquement technologique. Une société intéressée par la RSE, sur l’agriculture ou dans la santé peut être innovante.
Nous devons procurer notre expertise à tous les secteurs et aux entreprises à tous les niveaux de leur progression : de la création, à la croissance sur de nouveaux projets, et également la reprise. Accompagner la croissance c’est un autre métier et c’est le cœur de mon expérience.
Nous sommes une institution financée par des fonds publics ce qui forme une grande rigueur. Je souhaiterais poursuivre le développement des partenariats privés avec des entreprises de la région qui soutiennent l’entrepreneuriat dans le cadre de leur programme RSE.
Quelles sont les personnes qui t’ont inspirée, dans ta carrière ?
Je pense en premier lieu à ces femmes d’affaires du Moyen-Orient qui m’ont permis de changer ma vision de la femme dans l’entrepreneuriat. Au départ, j’étais plus dans l’état d’esprit ; « I am one of the boys ». Mais ces personnalités fortes ultras féminines, avec un équilibre vie privée et personnelle, dans une société extrêmement masculine, m’ont inspirée. Elles m’ont influencée dans ma façon de m’habiller et je n’ai plus adopté les codes masculins.
Sinon mon modèle d’entrepreneur c’est Coco Chanel. Elle incarne pour moi l’entrepreneure libre qui va jusqu’au bout de ses idées et qui ne lâche rien. C’était une femme avec une grande force de caractère qui a fait plusieurs fois faillite et n’a jamais baissé les bras.
J’avais lu un article très intéressant du fondateur de Airbnb qui n’avait pas eu le temps de finir sa formation à l’université, happé par le succès foudroyant de sa société. Il a donc utilisé sa célébrité pour organiser chaque mois des rendez-vous avec les cerveaux de ce monde ; il a profité de ses échanges avec Warren Buffet, Bill Gates et bien d’autres pour parfaire sa formation. Il arrivait avec une problématique et leur demandait comment ils le résoudraient. D’une certaine manière j’essaye de fonctionner comme cela. Il faut oser dire « je ne sais pas ». C’est un exercice qui marche à tous les niveaux et dans tous les business. Nous avons mis en place d’ailleurs chez Initiative des ateliers de cocréation, où des entrepreneurs se réunissent sur une problématique afin de trouver une solution par l’intelligence collective.
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Oui, le dernier livre de Pierre Lemaitre, que je lis actuellement, « Le grand monde ». Il nous propose une plongée mouvementée et jubilatoire dans les Trente Glorieuses. C’est drôle et incisif, je me régale.
J’ai été très émue par « La Grâce » de Thibault de Montaigu. Au départ, l’auteur voulait écrire sur Xavier Dupont de Ligonnès. Suivant ses traces, il s’est retrouvé dans une abbaye bénédictine près de Carpentras, où il a eu la révélation que Dieu existait. C’est un livre magnifique.
D’un point de vue plus professionnel, je conseille Henry Cloud, un psychologue clinicien américain qui a écrit sur l’intégrité dans le leadership. Ces livres « Integrity » et « Boundaries » sont très intéressants.
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
Je m’inspire d’un verset de Saint Paul qui parle de courir la course de la vie en oubliant ce qui est derrière pour toujours tendre vers ce qui est devant nous. Je trouve que cette discipline s’applique très bien à la course de l’entrepreneuriat : s’inspirer des réussites et des erreurs du passé, mais surtout regarder en avant pour saisir les opportunités.
A propos de l’auteur : Pascale Caron, membre du comité MWF Institute est CEO de la société Yunova Pharma, implantée depuis 2020 à Monaco et commercialise des compléments alimentaires dans la Neurologie. Pascale est également directrice de rédaction de Sowl-initiative.