Interview de Dorothée Elbaz, fondatrice de Hub-G.
By Pascale Caron.
Dorothée dirige une société de communication par l’objet et digitale. Elle est également très engagée dans l’entrepreneuriat féminin et a été présidente de FCE Paris Île-de-France pendant 4 ans. Parmi ses multiples activités, elle est parallèlement conseillère prud’homale de Paris et secrétaire générale de la CCI. J’ai rencontré Dorothée lors du congrès annuel de Femmes Chefs d’entreprise à Nice, et j’ai eu envie d’en savoir plus sur son parcours.
Qu’est-ce qui t’a amenée à te lancer dans l’entrepreneuriat ?
Je suis issue d’une famille de 6 enfants, dont 4 garçons, et j’étais la petite dernière pendant 7 ans avant l’arrivée de ma sœur que je réclamais. Mon père était entrepreneur, j’ai donc baigné très tôt dans ce milieu. J’ai eu une enfance décalée, car j’ai été diagnostiquée haut potentiel, très tôt. J’avais du mal à m’adapter aux gens de mon âge, ce qui m’a forgé un caractère de battante. J’ai passé mon bac à 15 ans, avec 3 ans d’avance et j’ai tout fait de bonne heure. J’ai rencontré mon mari à 16 ans et je me suis mariée à 20 ans.
Sortie du bac je me suis lancée dans des études de droit pour devenir avocate, mais j’ai eu mon premier enfant à 20 ans et j’ai dû arrêter mon cursus en maitrise.
J’ai finalement commencé dans le métier que j’exerce aujourd’hui par hasard. J’étais venue pour soutenir une amie, seulement quelques jours. C’était une société d’import-export d’objets de décoration venus d’Asie, chez Atoll.
Cette aide ponctuelle, c’est en définitive transformée en un travail passionnant d’acheteur, chez Comexo, pour les enseignes de vente par correspondance de Lille, comme la Redoute, les 3 Suisses et Yves Rocher. J’excellais dans mon domaine.
Au bout de 5 ans j’ai commencé à avoir des fourmis dans les jambes : un chasseur de têtes me contacte et me propose un poste de technico-commercial pour la société Caesar diffusion. J’ai suggéré à mon patron de l’époque de me donner ma chance au commercial, mais il a refusé. J’ai donc décidé de rejoindre cette nouvelle aventure spécialisée dans l’importation et la communication par l’objet. Je leur ai apporté une méthode de travail. J’ai innové en faisant de l’import à la source et en créant des showrooms et je générais à moi seule 30 % du chiffre d’affaires de la boite !
Entre-temps, j’avais déjà 2 enfants, et je me suis confrontée au sexisme des hommes lorsque j’ai annoncé ma 3e grossesse. J’étais très engagée, continuant à travailler à distance y compris le week-end. Mais cela n’a pas suffi, ils se sont séparés de moi juste avant mon retour par lettre recommandée : à l’Américaine ! L’ironie du sort est que je n’avais même pas reçu la lettre, car c’était la Pentecôte : un jour ouvré, pour les sociétés privées, mais fermé pour la Poste ! Mon bureau avait été vidé et l’entrée m’était interdite. Depuis ce jour-là, révoltée, je me suis engagée dans la défense du droit des femmes.
Et tu as créé ton entreprise ?
Oui, j’ai reproduit ce que je savais faire en fondant tout d’abord « Créations Dor ». J’aimais ce nom, car il avait un petit côté « Christian Dior ». J’étais située place de l’étoile, avec l’arc de triomphe sur mon logo.
Fonder son entreprise n’est pas un long fleuve tranquille et j’ai bien sûr fait face à la solitude du dirigeant. Il fallait vendre, sourcer, mais aussi faire l’administratif et les tâches ingrates tout en assumant mon rôle de mère. Mes bureaux étaient localisés près de mon frère, expert-comptable, et mon mentor. Il m’a accompagnée avec son côté pragmatique et terre à terre, et m’a permis de prendre du recul. Un bon commercial fait la pluie et le beau temps dans une entreprise, et gagne généralement mieux que le patron ! Je m’en suis rendu compte à ce moment-là, mais la liberté, ça se paie. Le plus dur était de faire face à mes émotions. Une question me taraudait : mais comment font les autres femmes dirigeantes ?
En creusant, je suis tombée sur un article en 2007, où Marie-Christine Oghly, actuelle présidente monde FCEM et présidente France à l’époque, m’a inspirée. J’ai donc rejoint la délégation de Paris. J’ai intégré le bureau en tant que responsable de la communication très rapidement et j’en ai pris la présidence en 2017 pour un mandat de 2 ans qui a été renouvelé jusqu’en 2022. Je suis actuellement Vice-présidente Île-de-France.
Cette communauté m’a énormément aidé : nous avions beaucoup de problématiques communes.
Pendant ce temps mon entreprise se développait autour de mes clients, comme L’Oréal ou SNCF. Mais 3 événements m’ont obligée à penser à la suite. Tout d’abord j’ai perdu mon père en 2015 ce qui m’a beaucoup affectée. J’ai également eu un 4e enfant ce qui m’a obligée à lever le pied et à déléguer à mon équipe, puis il y a eu la pandémie.
La période de la Covid m’a contrainte à repenser mon activité et j’ai décidé de prendre un virage numérique. J’ai changé le nom de ma société qui s’appelle maintenant Hub-G (en référence à Objet), au carrefour de la communication digitale et de l’objet avec le G de green comme éco-engagé.
J’ai fait une formation et je me suis appuyée sur de nouveaux profils qui sont venus enrichir mon équipe : des community managers. Nous avons démarché une clientèle différente : avocats, experts-comptables, restaurants. Mon activité reste encore 75 % orientée objet physique, mais nous progressons.
Peux-tu nous parler de ton mandat aux Prud’hommes et à la CCI ?
En adhérant aux FCEs, on est investies d’une responsabilité, nous devenons des ambassadrices. On est souvent sollicitées pour des prises de mandat.
J’ai donc répondu présente pour les Prud’hommes depuis 5 ans. J’ai pu utiliser mes compétences de droit et ça a été ma revanche sur ce que j’ai subi.
Je suis également à la section commerce de la CCI. Nous avons la grande chance d’avoir une femme présidente de la CCI Paris, Soumia Malinbaum, et je fais partie du bureau restreint. L’entrepreneuriat féminin est au cœur de nos priorités.
Quels sont tes prochains challenges ?
Le plus important est de réussir la transformation numérique de mon entreprise en passant mon activité à 50/50. J’ai également des ambitions internationales : j’ai déjà pris des contacts avec le Canada.
Quelles sont les personnes qui t’ont inspirée dans ta carrière ? Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Dans la sphère familiale, je citerais mon père, un chef d’entreprise, taureau et fonceur comme moi qui ne parlait pas beaucoup, mais dont je buvais chaque parole. J’avais une relation fusionnelle avec lui et je voulais réussir pour lui. Mes frères et moi, nous sommes tous devenus patrons, surement en suivant son exemple.
Je suis une fan absolue de Simone Veil, et je collectionne des tableaux la représentant ; j’aime la pugnacité de Christine Lagarde. J’ai été fascinée à l’époque par le côté fonceur de Bernard Tapie qui réussissait tout et j’admire beaucoup l’audace de Xavier Niel que j’ai eu la chance de rencontrer.
Coté livre, je conseillerais, « Le 2e sexe » de Simone de Beauvoir, et les livres d’Isabelle Badinter sur la famille. Pour finir, je conseille « Réinventer les aurores » du grand rabbin de France Haïm Korsia. C’est un manifeste puissant contre l’indifférence, un plaidoyer pour la fraternité.
Aurais-tu une devise ou un mantra ?
« Je ne pense pas qu’il existe une autre qualité aussi essentielle au succès, quel qu’il soit, que la persévérance. Elle surmonte presque tout, même la nature. » De John Davison Rockefeller, industriel américain et premier milliardaire de l’époque contemporaine !