[RSE] Cosmétique

Interview de Candice Colin, CEO et co-fondatrice de BEAUTYLITIC (LITICA) et de OFFICINEA. By Pascale Caron

Candice possède un diplôme de l’institut d’Études Politiques (IEP) de Grenoble. Après une première partie de carrière pendant près de 10 ans dans de grands groupes financiers internationaux, elle s’installe en 2005 en Russie ou elle créé sa première entreprise. À son retour en France, elle crée un laboratoire cosmétique qui sera aussi à l’origine de l’appli CLEAN BEAUTY, la première appli de décryptage des cosmétiques lancée en France. En 2018, elle crée LITICA LABS, un société tech à l’origine de BEAUTYLITIC. C’est la première plateforme Saas BtoB d’analyse des cosmétiques à destination des retailers, e-commerce, marques, fonds d’investissement. Elle vient d’être récompensée par le Prix d’excellence de la beauté connectée par le magazine MARIE CLAIRE.

Qu’est-ce qui t’a amenée à te lancer dans l’entrepreneuriat ?

J’ai fait une première partie de carrière à Paris dans de grands groupes, principalement en relations investisseurs et en conduite du changement. J’ai aussi fait partie des premiers responsables RSE en France. Je n’avais jamais songé me lancer dans l’entrepreneuriat. C’est la vie qui en a voulu autrement.

En 2005, j’ai dû m’installer en famille à Moscou alors que ce n’était pas vraiment mon choix. J’avais déjà un enfant et j’étais enceinte du 2e. Je savais qu’une expatriation de ce type était peu compatible avec la poursuite de ma vie professionnelle et je voulais plus que tout continuer à travailler. J’éprouvais une urgence de rebondir. Maitriser la langue était devenu obsessionnel, je l’ai appris à marche forcée. Les premiers mois furent très difficiles. Mais au début des années 2000, la Russie était économiquement hallucinante, le pays semblait effervescent, je crois que ça m’a portée. Petit à petit, j’ai commencé à voir les choses sous un autre angle et j’ai commencé à envisager de créer une société. Totalement inconsciente, j’ai alors approché MAGIMIX qui a miraculeusement accepté de me confier sa distribution en CEI. C’était parti.

Qu’as-tu appris lors de cette expérience ?

Ce fut finalement une aventure hors norme et indéniablement cela reste la plus grande aventure de ma vie. J’ai pu pleinement expérimenter le terme « sortir de sa zone de confort », ça fait bateau, mais c’est très vrai. J’ai fait des choses que je n’aurais jamais imaginé faire et j’ai bien compris cette maxime « il faut parfois prendre un gros risque pour aller bien au-delà ». Cette expérience a été un révélateur de moi-même.

Mais nous avons du rentrer… Nous avons choisi de nous installer à Grasse dans notre maison de vacances. Continuer de gérer ma société de France était très compliqué d’autant qu’il a fallu compter avec un imprévu familial.

En effet à cette époque mon fils ainé Noah, a été diagnostiqué avec des troubles cognitifs très sévères : multi dys et hyper actif. S’il a eu une scolarité compliquée dans le primaire, son entrée au collège a été un « game changer » et il aura 18 ans dans un mois. Le sport et la compétition de snowboard au club « Back to back » d’Isola 2000, l’ont également beaucoup aidé.

 Comment est née l’application CLEAN BEAUTY ?

La question d’une exposition aux perturbateurs endocriniens s’est peu à peu posée pour tenter d’expliquer les troubles de Noah puisqu’il n’y avait aucun antécédent familial. Je me suis alors intéressée de plus près à « cette soupe chimique » dans laquelle on était tous baignés, sans le savoir. C’est alors que je me posais beaucoup de questions, que j’ai rencontré l’une de mes associées, docteur en pharmacie industrielle, qui avait commencé à développer des soins ultra-clean. Notre société est née de notre rencontre.

Nous sommes parties du constat que tous les jours, une femme s’applique sur la peau plus de 200 ingrédients d’origine chimiques. Nous avons commencé par concevoir une marque de cosmétiques qui évacuait tous les composants controversés et nous avons choisi de la distribuer par la vente directe. Grâce à nos conseillères de vente, nous étions directement en prise avec le terrain. Nous nous sommes rapidement rendu compte que le questionnement sur les ingrédients était très fort.

C’est à ce moment que l’histoire de la société a basculé. Je me répète souvent, « rien ne se passera comme tu le penses ». Pour répondre à ces questionnements, nous avons décidé de lancer CLEAN BEAUTY une application B2C de décryptage des cosmétiques comme un « side project », pour répondre au besoin de nos clientes. Nous nous sommes lancés en même temps que YUKA (16M d’utilisateurs) et nous avons cartonné. Sans budget, sans marketing, mais avec une attente très forte nous avons recueilli rapidement 1M d’utilisateurs. Je devenais alors la créatrice de CLEAN Beauty et plus la CEO d’OFFICINEA !

Mais l’aventure ne s’arrête pas là : l’industrie de la beauté a commencé à nous contacter. Tout d’abord Guerlain, pour participer à leur comité d’éthique. Quelques mois après, Auchan, car ils s’interrogeaient sur leur démarche RSE et cherchaient une solution pour analyser leurs produits sur de très grands volumes : c’est comme cela que BEAUTYLITIC est née. Grâce à l’alliance de la science et de la tech, BEAUTYLITIC est le premier logiciel dans le cloud d’évaluation et de. Data analytics de la composition des cosmétiques à destination de l’industrie pour répondre aux grands enjeux de durabilité, devenus aujourd’hui des enjeux conso clés. La tech est un levier beaucoup plus fort que les produits, nous avons fait le choix de nous concentrer sur cette activité.

Bravo, pour ce parcours incroyable ! Quels sont tes prochains challenges ?

L’international est dans notre ligne de mire : nous avons conçu notre plateforme directement pour cela. Aux USA il n’y a pas de réglementation : en Europe on a 1300 ingrédients interdits ce qui est plutôt rassurant, contre seulement 30 aux USA. L’inquiétude sur les cosmétiques est mondiale, la nécessité de transformer l’offre aussi. Sur certains marchés, Clean Beauty peut nous servir de poisson-pilote. Nous avons pu évaluer le marché lors du CES, Las Vegas, 2019 et établi des contacts. Nous avons fait également une mission avec Rising Sud (le pôle eco région sud) en Californie.

Êtes-vous impactés par la crise du COVID ?

Pendant le 1er confinement, tout s’est arrêté, pour une société qui a 2 ans c’est flippant. Mais la santé est une valeur cardinale en beauté, tout est reparti en juin. La crise du COVID accélère aussi les prises de conscience, entraine des changements de consommation et la nécessité de plus en plus pressante de transformer l’offre. Au final, le contexte actuel est un accélérateur.

 Quel a été le rôle d’InnovaGrasse, l’accompagnateur de startup dans ton développement ?

InnovaGrasse a été déterminante. C’est un écosystème entrepreneurial et scientifique génial. Elle héberge un laboratoire de la fac de Chimie de Nice Sophie Antipolis. Nous avons eu accès à des équipements incroyables qui nous ont permis de conduire nos recherches.

 Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?

Les entrepreneurs en général sont une source d’inspiration. Je n’avais pas cette vision quand j’étais salariée ni en sortant de Science Po Grenoble. Je suis admirative de ceux que se lancent, car c’est une course d’obstacles permanente.

Aurais-tu un livre à nous conseiller ?

Le réchauffement climatique et l’intelligence artificielle sont pour moi les deux plus grands enjeux auxquelles l’humanité a eu faire face. Je ne peux donc que recommander la lecture d’un livre passionnant sur l’IA « IA La plus Grande Mutation de l’histoire » de Kai-Fu Lee.
Ce Taiwanais raconte comment l’IA bouleverser la planète. Il explique comment la Chine utilise « le pétrole du 21e siècle », c’est-à-dire les données générées par ses centaines de millions d’utilisateurs. Grâce à une nouvelle génération d’entrepreneurs et à une course à l’innovation encouragée par les pouvoirs publics, la Chine invente un monde où l’intelligence artificielle se déploie dans toute la société, les restaurants, les hôpitaux, les salles de classe ou les laboratoires. Kai-Fu Lee nous donne sa vision des choses, mais elle vertigineuse et doit appeler à une plus grande prise de conscience sur les impacts sociaux, économiques et géopolitiques de l’IA.

Dans un autre registre sur le monde des start-ups, « Bad Blood » de John Carreyrou est incroyable. L’histoire hallucinante de la montée et de l’effondrement de Theranos, la biotech de plusieurs milliards de dollars fondée par Elizabeth Holmes.

En 2014, la fondatrice et PDG de Theranos, Elizabeth Holmes, était considérée comme le « Steve Jobs » féminin, dont la start-up promettait de révolutionner l’industrie médicale avec une machine qui rendrait les tests sanguins beaucoup plus rapides et plus faciles. Soutenue par des investisseurs tels que Larry Ellison et Tim Draper, Theranos a vendu des actions lors d’une levée de fonds qui valorisait la société à plus de 9 milliards de dollars, portant la valeur de Holmes à environ 4,7 milliards de dollars. Il y avait juste un problème : la technologie ne fonctionnait pas. C’est un livre passionnant qui se lit comme un thriller.

En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?

Oui, elle me correspond bien et elle s’adresse également à mes clients : « Ce n’est pas la plus forte des espèces qui survit, ni la plus intelligente, mais celle qui réagit le mieux au changement. » — Charles Darwin.