Interview de Valentine Mulliez Bardinet,

By Pascale Caron

Après un Master en Ressources Humaines et 10 ans d’expérience en particulier dans le recrutement et la détection de potentiel, Valentine rejoint le Family Office de l’Association Familiale Mulliez (AFM) en 2009. En tant que Chef de Projets sa mission est de contribuer à la pérennité de la gouvernance familiale des entreprises. Valentine a également exercé différents postes dans des conseils d’administration notamment pour B’DOM et CEETRUS France. En 2012 elle co-fonde l’association Profession’L, dans le but d’accompagner les femmes qui souhaitent redonner un nouvel élan à leur carrière. Profession’L organise des salons sur lesquels elles peuvent trouver écoute et réponses personnalisées sur les thèmes phares de l’évolution professionnelle : formation, recherche d’emploi, recrutement, création, entrepreneuriat, accompagnement individuel. Le salon est organisé en France et au Luxembourg en présentiel et en digital.

 

Peux-tu nous expliquer la genèse de l’association, comment avez-vous lancé le projet ?

Nous avons créé le salon Profession’L, Séverine Vanleene-Valette et moi, pour nos propres besoins. Nous étions chacune en emploi, mais en plein questionnement sur notre évolution de carrière. Nous avions envie de changer de voie, mais comment s’y prendre, sans connaître les acteurs susceptibles de nous conseiller ? Je dis souvent qu’il y a 2 types de reconversions : celles subies, par exemple lors d’un licenciement, quand on doit suivre son conjoint, ou après une séparation, etc… Et puis il y a celles que l’on choisit, animées par une recherche de sens et de satisfaction. Personnellement, j’avais suivi mon conjoint à Bordeaux.

En fondant le salon Profession’L, nous répondions à nos questionnements et à ceux de milliers de femmes dans notre situation en réunissant en un seul lieu tous les acteurs économiques de la reconversion professionnelle au féminin. Nous voulions créer du lien pour grandir mutuellement.

Le concept a reçu un très bon accueil des institutionnels et a enregistré une forte fréquentation dès la première édition à Bordeaux en mars 2013. Ces femmes ont trouvé les bons interlocuteurs pour faciliter leur parcours de reconversion et l’inspiration pour « oser » sauter le pas.

L’indépendance économique des femmes est l’enjeu fondamental. Nous souhaitons les aider à lever les préjugés, leur donner confiance en leurs talents et construire avec chacune d’elles des solutions adaptées et personnalisées. Nous mettons en lumière les initiatives féminines positives et les multiplions.

 

Depuis vos débuts à Bordeaux, l’aventure s’est propagée, quel succès ! Peux-tu nous expliquer le format ?

En effet, après 4 éditions réussies à Bordeaux, le salon s’est développé depuis 2017. Nous proposons Profession’L dans 7 villes françaises et au Luxembourg avec un ancrage régional fort. Nous avons su conserver nos valeurs du début : convivialité, professionnalisme et bienveillance ! Dans nos villes historiques, nous enregistrons une très forte participation avec 80 à 100 partenaires, plus de 3000 participantes sur 2 jours, une centaine de conférences en continu. Pour organiser tout cela, nous avons des employés ou des effectifs en mission ainsi qu’une armada de 15 à 20 bénévoles. Au cours des 25 précédentes éditions, plus de 35 000 visiteuses ont bénéficié des services de Profession’L.

Se reconvertir, évoluer au sein de son entreprise, créer son activité indépendante : nous leur permettons de trouver des réponses concrètes aux attentes et situations personnelles de chacune. C’est un salon dynamique, innovant, avec des stands, des conférences, des ateliers de coaching, du recrutement. Une énergie étonnante s’en dégage et c’est un point important lorsque l’on sait qu’encore aujourd’hui les femmes souffrent d’un déficit de confiance en elles et en leurs compétences en matière d’emploi. Elles viennent généralement pour se faire accompagner et chercher également la puissance du collectif. Elles libèrent leur parole dans un environnement bienveillant.

 

Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur vos activités ?

La crise nous a fortement impacté comme tout le secteur évènementiel, avec 3 salons annulés au printemps 2020. Notre formidable équipe s’est rapidement mobilisée pour réfléchir et proposer une solution online avec nos moyens du bord pour toutes les femmes qui nous attendaient. Cela a été possible grâce à la multiplication des formats : les salons en ligne ont permis à des milliers de femmes de bénéficier des services de Profession’L même lors des confinements. Depuis cette période qui nous a tous bouleversés, les actions de l’association trouvent encore plus de sens, comme le prouve la fréquentation grandissante. Nous avons créé depuis des salons hybrides sur 1 semaine, avec des moments en distanciel en préambule les 2 premiers jours et ensuite 2 jours en présentiel.

 

Nous avons mené une enquête au mois d’avril 2021 afin d’évaluer l’impact de la crise sanitaire sur le désir de reconversion des femmes. 90 % des personnes interrogées ont indiqué que la crise a eu un impact significatif sur leur vie professionnelle et personnelle. En effet, 26 % ont subi un arrêt ou report d’un projet de reconversion, 20 % une recherche d’emploi non aboutie, 20 % une baisse des revenus, 14 % l’accélération d’un nouveau projet. Et il ne faut pas oublier que 8 % ont perdu leur emploi.

Plus inquiétant encore, selon un rapport publié par la Fondation des Femmes en mars 2021, 70 % des femmes « estiment que cette période va pénaliser leur carrière ». Ceci est notamment lié à leur charge familiale qui a augmenté. Les femmes se sont plus occupées des enfants alors que les écoles et crèches étaient fermées (21 % des mères ont arrêté de travailler contre 12 % des pères) les éloignant ainsi du monde du travail.

 

Quels sont vos prochains challenges ?

2022 sera l’anniversaire des 10 ans de l’association. Nous souhaitons développer de nouvelles actions afin d’accompagner les femmes dans la durée, au-delà de nos salons, et avons mis en place une vraie feuille de route. La demande ne faiblit pas bien au contraire et certaines situations se sont aggravées.

Depuis presque 10 ans tu as dû croiser le chemin de beaucoup de femmes en reconversion et de futures entrepreneures, quelles sont les success-stories dont tu es le plus fière ?

Je ne voudrais pas privilégier un parcours plutôt qu’un autre, j’en ai croisé tant depuis toutes ces années. C’est pour moi une forte émotion à chaque fois. Nous avons constitué une communauté de femmes qui viennent témoigner avec reconnaissance sur comment ce salon leur a permis de faire des rencontres qui ont changé leur vie ; c’est très émouvant et chaque parcours est unique.

J’adore être à l’accueil le matin et leur faire passer le message que l’on va faire tout ce qui est en notre pouvoir pour les aider. Certaines situations sont très critiques. Ce qui est beau en fin de journée c’est les entendre nous dire merci. Elles nous apportent une énergie folle et on se sent investi d’une vraie mission.

 

Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?

Tout d’abord Simone Weil, son courage, sa résilience sont un modèle pour moi.

J’ai également une de mes tantes, qui a évolué dans un monde d’homme et qui a dû faire son trou dans les conseils d’administration de notre famille. Elle a enseigné à Harvard, c’est une femme brillantissime. À 80 ans elle tient toujours bon pour faire entendre sa voix sur les sujets environnementaux ou sociétaux. J’aimerais avoir sa persévérance et son courage. C’est une chose de s’exprimer dans un salon que tu as créé et que tu maitrises, de demander le support des politiques pour une cause que tu défends. S’en est une autre de prendre la parole comme elle le fait au sein d’un écosystème familial de cette taille dans lequel les femmes doivent encore prendre leur place, contre vents et marées.

Aurais-tu un livre à nous conseiller ?

Je conseillerais « Femmes si vous osiez, le monde s’en porterait mieux » d’Aude de Thuin. J’ai eu la chance de la rencontrer lors de notre 3e salon à Bordeaux où elle était venue témoigner. Dans ce livre, elle y offre un tour d’horizon de la situation des femmes dans le monde actuel, sur les plans politique, économique, social ou personnel. Elle analyse la nature des obstacles conscients et inconscients qui maintiennent les femmes dans l’ombre. Pour ouvrir la voie, elle n’hésite pas à se dévoiler, à raconter son parcours de serial entrepreneure hors du commun, qui a elle-même accusé beaucoup de faillites.

Je recommande également « Osez tout » de Nathalie Loiseau, députée européenne et ancienne ministre. Elle illustre sa trajectoire hors normes, ses rencontres : son histoire nous donne envie de ne renoncer à rien, de vivre pleinement sa vie de femme, de mère, de repenser son rapport au travail, aux hommes.

Pour terminer quelle est ta devise ou ton mantra ?

Mes citations fétiches sont « Je ne perds jamais, soit je gagne, soit j’apprends », de Nelson Mandela. Ou encore « Ce n’est pas parce que les choses sont difficiles que nous n’osons pas, c’est parce que nous n’osons pas qu’elles sont difficiles. »

Enfin, je dis souvent aux femmes qui sont d’abord dans le « Care », et qui sont plus enclines au bénévolat, de faire attention, car « ce qui est gratuit n’a pas de valeur » dans le monde économique !

À méditer.