Entretien avec Julie Démoulins, CEO d’Ovation.
By Pascale Caron
Julie est architecte diplômée de l’École Nationale Supérieure (ENSA) de Paris La Villette. Elle fait ses armes pendant plusieurs années auprès d’architectes de renom, Audren & Schlumberger à Paris ou encore Jean-Pascal Clément dans le Var. Elle y a exercé en tant que chef de projet, travaillant aussi bien pour des maîtrises d’ouvrages publiques ou privées, du neuf ou des réhabilitations de logements, bureaux, et villas. Mais rapidement elle s’intéresse de plus près aux problématiques environnementales liées au bâtiment. Une formation à l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Strasbourg lui délivre le titre de « Concepteur Bâtiments Passifs ».
Architecte acteur de la société, elle fonde OVATION. Avec une posture engagée, elle se trouve face aux réflexions sociales, urbaines, politiques, économiques et écologiques.
Elle a été seconde lauréate du prix de l’entrepreneuriat féminin en 2021, décerné par Les Premières sud.
D’où est venue l’idée d’OVATION ?
À l’école, ayant des facilités en maths, j’ai suivi une filière scientifique. Cependant depuis mon adolescence, j’étais attirée par les arts et lettres. J’habitais une ville d’Art, Rouen, et son influence avait développé ma sensibilité. Que faire quand on a un côté cartésien et une grande sensibilité qui ne demande qu’à s’exprimer ? L’architecture m’est apparue comme la discipline qui faisait le pont entre les deux. L’école que j’ai intégrée offrait une pédagogie portée sur la culture, la construction de son esprit critique et de sa personnalité. Je m’y suis épanouie. Pendant mes études j’étais en alternance dans une agence parisienne où j’ai pu travailler pour des projets importants et apprendre énormément. J’ai finalement atterri dans le sud de la France, par amour, j’avais 22 ans, jeune diplômée, et je voulais créer ma propre entreprise. Mais pour valider mon diplôme, je devais rejoindre une agence, j’y suis restée 2 ans. C’est au cours de cette première expérience que s’est précisé mon projet professionnel.
J’aime travailler sur les logements collectifs : c’est comme une équation à multiples inconnues. À travers mes premières expériences, j’ai compris que l’architecte avait une responsabilité politique et environnementale. J’ai pris cette responsabilité très au sérieux et me suis intéressée avec passion à la conception d’une architecture vertueuse ;
Mais la connaissance c’est le pouvoir et il me fallait parfaire cette vocation naissante. C’est à cette époque que j’ai suivi une formation à l’Institut National des Sciences Appliquées (INSA) de Strasbourg. Entourée d’ingénieurs, c’était exactement le cursus que je cherchais et j’ai pu très vite mettre en pratique mes nouvelles compétences.
Impatiente d’utiliser ces nouvelles connaissances, j’ai fondé, OVATION, une agence d’architecture engagée qui me ressemble. Nous concevons une architecture durable en tirant parti des atouts climatiques d’un site. Mon credo est d’améliorer le cadre de vie de l’humain et de démocratiser des bâtiments vertueux et sobres.
C’est à ce jour la seule agence d’architecture référencée « passive house designer » entre Monaco et Marseille ! Le secteur de la construction, aussi bien résidentiel que tertiaire, pèse considérablement dans le bilan énergétique et carbone en France et dans le monde entier. Je suis convaincue que nous avons un rôle majeur à jouer.
Qu’est-ce qu’un bâtiment passif ?
C’est un bâtiment qui ne consomme presque pas d’énergie. Le label fixe le seuil d’exigence à 15 kWh.m2/an maximum. Cela correspond à une économie de 90 % de la consommation. À ce jour, seuls neuf édifices sont certifiés « bâtiment passif », dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Il s’agit de villas individuelles uniquement.
Mais il y a une méconnaissance sur le sujet de la plupart des professionnels du secteur, jusqu’aux bureaux d’études qui restent souvent sur leurs rails. Mon combat de tous les jours est de les amener à s’ouvrir à des solutions non traditionnelles, qui fonctionnent et sont réalisables.
Comment as-tu trouvé le nom de ton agence ?
Mon papa a travaillé toute sa vie dans la communication, c’est donc tout naturellement que je lui ai fait confiance pour dénicher ce nom. OVATION, évoque l’innovation, l’intelligence collective et la puissance du collectif.
Quelle est ta vision de l’entreprise ?
Elle est assez singulière : je suis très critique sur les organisations hiérarchiques que j’ai pu expérimenter. Ce n’est pas ce que j’ai envie de développer, chez OVATION. Quand j’ai besoin de renforts, je laisse le choix à la personne de me rejoindre en tant que salarié, freelance, prestataire, ou associé sur un projet. Le but est de lui permettre de décider de l’équilibre qui convient. Nous sommes 5 dans l’équipe, venus d’univers différents. Chacun contribue avec ses compétences propres, au succès de nos projets. L’un d’entre eux, Philippe, que je qualifie toujours de génie autodidacte, est spécialiste du passif depuis 2004. Je l’ai connu à la fin de ma formation. Il avait fondé une grande entreprise et au lieu de courir après la croissance a préféré privilégier sa qualité de vie et sa liberté. Avec lui, la sobriété s’expérimente à tous les niveaux. Il travaille sur tous les projets passifs de l’agence, en particulier sur la conception thermique. Nous collaborons tels deux associés.
Quel a été l’impact de la crise sanitaire sur tes activités ?
J’ai eu l’idée « merveilleuse » de créer ma société en avril 2020 ! Pendant le confinement, j’ai pu finaliser mon premier projet passif avec mon précédent employeur, je n’ai pas été très impactée. À partir de septembre, en quête de contrats, j’ai décidé de communiquer et j’ai engagé les services de mon amie Alice André de « Colette Consulting » : un vrai moteur ! Aujourd’hui, nous travaillons sur une quinzaine de projets qui vont de la villa à l’immeuble de 18 000 m2.
Quels sont tes prochains challenges ?
Je m’investis sur un projet d’écoquartier qui me tient à cœur : je voudrais montrer que l’architecture peut faire sens avec son environnement direct. Sinon pour avoir travaillé majoritairement à des projets de logements collectifs j’aimerais beaucoup réaliser un bâtiment passif avec un promoteur d’envergure nationale. Enfin, forts de nos premières références, nous allons commencer à répondre aux marchés publics. Par ailleurs, je suis de près l’actualité monégasque, car la Principauté est engagée pour la transition écologique avec parfois de belles innovations.
Mon autre challenge est de faire bouger les lignes de notre métier, je me sens investie d’une mission. C’est pour cela, que suis membre de « la Villa Romée », dont le président historique a œuvré pour générer de l’intelligence collective entre les différents acteurs du bâtiment. Il m’a permis d’animer pendant 6 mois un atelier autour de l’efficience énergétique. Comme je suis une des premières à officier sur ce terrain-là dans la région, je voudrais que ça se démocratise. Les confrères ont beaucoup d’idées reçues et je cherche à lever les aprioris.
Tu fais partie de « bouge ta boite », peux-tu nous en parler ?
C’est un cercle d’entrepreneures, le mien se trouve à Sophia Antipolis, 100 % féminin et orienté business. Un vendredi midi sur deux, nous nous réunissons autour d’un programme structuré et pragmatique pour pitcher, réfléchir à nos problématiques en intelligence collective, présenter notre métier et exprimer nos besoins. Nous mesurons le chiffre d’affaires économisé ou généré grâce aux interactions, conseils et recommandations des autres Bougeuses. C’est très ouvert et rassemble tous les âges.
Quelles sont les personnes qui t’inspirent ?
Je pense tout d’abord à Philippe, mon « associé freelance ». Avec détermination et passion, il a su se documenter et se former pour finalement devenir expert du sujet. Sinon j’adore écouter des podcasts sur les parcours de femmes qui se sont réalisées par elles même.
Aurais-tu un livre à nous conseiller ?
Dans la catégorie roman, je recommande « Les piliers de la terre », de Ken Follet. C’est une grande fresque sur les bâtisseurs !
Je citerai Peter Zumthor, un architecte suisse, une référence incontournable pour tous les architectes, parmi ses ouvrages je citerai « Présences de l’histoire », c’est une conversation menée par l’historienne norvégienne Mari Lending. Il se lit d’une traite, donnant l’illusion d’assister à un échange feutré de salon, en toute intimité. On y parle d’architecture et de littérature, mais surtout d’histoire, de la manière dont le temps, la mémoire et les temporalités se reflètent dans ses réalisations.
Le dernier est Rudy Ricciotti, « L’architecture est un sport de combat », c’est ma vie au quotidien ! C’est lui qui a signé « le 19 M », la nouvelle manufacture des métiers d’art de Chanel. Il livre dans ce manifeste sa vision de la profession avec un goût des mots et des formules qui bouscule les idées reçues et nous raconte sa lutte contre les schémas de la globalisation.
En conclusion aurais-tu une devise ou un mantra ?
« Être architecte c’est penser que demain peut-être mieux qu’hier ». Cette devise synthétise bien notre mission, il s’agit d’anticiper notre futur.
À méditer.